1776-11-24, de Jean Marie Arnoult à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur,

Depuis que j'ai l'honneur d'Etre connu de vous, et que vous avés bien voulu avoir quelque confiance En moy, je suis persuadé que vous ne seriés pas fâché de trouver l'occasion de me rendre service: n'Est il pas vrai, monsieur?
Et cette occasion je la crois arrivée; voicy comment.

Il s'agit de protection et recomendation auprès de monsieur Necker, dont par parenthèse je suis aussi le conseil. Car voicy comme je raisonne. Monsieur Necker Est Envoié et représentant de la république de Geneve; or je suis Conseil de la république; donc je suis conseil de Monsieur Necker: cela Est fort, comme vous voiés, et voilà à quoi sert la logique: de Monsieur Necker donc: voudriés vous bien, au cas que vous le conoisiés assez pour cela, devenir mon Protecteur auprès de luy? Mon Protecteur? de moy? Est ce que je veux être fermier général, gouverneur, archevêque, comme disoit Sancho? Point du tout: mais j'ai un fils; et ce fils, honnête homme, marié, aiant famille, aimant le travail, a Eté assés malheureux pour donner à plein collier dans le parlement de 1711, tout trésorier de France qu'il étoit; Et il En est arrivé que la révolution l'a dépouillé de l'exercice de ces deux places.

Par d'autres Protections assés puissantes, tells que Monsieur Amelot et autres, mon fils est parvenu à obtenir de l'occupation dans des matières domaniales, assés relatives à son premier Etat, Et il y a été conduit par mr Varenne, sous le bon vouloir Et plaisir de monsieur de Clugny, Controlleur général; et àprésent qu'il Est mort, sous celuy de monsieur Necker, directeur général des finances, et le seul dispensateur des grâces En cette partie.

Il s'agiroit donc, monsieur, de m'Envoier à Dijon, où je retourne demain, une Lettre bien sallée, que j'Enverrois à mon fils, qui est à Paris; dans laquelle lettre vous auriés La bonté de recomander bien fort ce jeune homme à mondit sieur Necker, lequel doit être de vos amis, ou de vos admirateurs; Car qui Est ce qui ne vous aime pas, qui est ce qui ne vous Respecte pas? des Frerons, des Clements? Laissons ces polissons, et revenons à votre lettre;

Muny de ce Passeport, mon fils obtiendroit audiance, Protection, et peutêtre quelque chose au delà.

Je me Persuade que cette voie réussira mieux que tout autre: Et malgré le style, peut être un peu Libre de cette Epitre, je demande Et je vous prie très sérieusement d'aider mon fils de tout votre crédit auprès de monsieur Necker; Et moy, je ne cesserai de prier dieu de tout mon coeur, pour votre prospérité et santé, Et de travailler de tout mon zèle au succès des affaires aux quelles vous vous intéressés.

Je suis avec le plus grand respect, et la plus parfaite confiance

Monsieur

Votre très humble et très obéissant serviteur

Arnoult