1760-10-24, de Voltaire [François Marie Arouet] à Germain Gilles Richard de Ruffey.

Sans une demi douzaine de tragédies, une centaine d'hôtes, une église et un téâtre à bâtir, je vous aurais dit plustôt mon cher confrère combien je vous ai regretté.
Mrs de Varenne n'ont vu qu'une petite partie de nos travaux, que nous appellons amusements. Je vous assure que les affaires les plus sérieuses ne prennent pas plus de temps. Les amusements qui n'en prennent guères, sont les petites corrections qu'on inflige aux Pompignan et aux autres impertinents qui étant àpeine gens de lettres osent vouloir décrier les véritables gens de lettres, calomnier leur siècle et déshonorer la nation. Il faut se moquer des sots, et faire trembler les méchants. Je ne crois pas que vous ayez sitôt Tancrede. Vous ne connaissez probablement cette tragédie que par les malsemaines de maitre Aliboron dit Fréron. Comptez qu'elle ne ressemble point du tout à ce qu'en dit ce polisson. Je l'avais faitte à la vérité pour moy, pour les plaisirs de ma campagne. On a voulu la jouer à Paris. J'en ay fait présent aux comédiens. Ils y ont gagné de l'argent. Ainsi hors Fréron tout le monde est content. Je le serais fort si vous pouviez franchir les montagnes, et faire ce qu'ont fait mrs de Varenne. Je les ay trop peu vus, et je voudrais vous voir baucoup. Mille respects à made de Ruffey.

p. s. Il y a un homme chez vous qui m'envoie de vieilles nouvelles. Je lui dois je crois une année. Voudriez vous avoir la bonté de luy faire payer son louis? Mr Tronchin de Lyon rembourse tout. Je ne me mêle que de lire et de barbouiller et surtout de vous aimer.