Monsieur,
Je viens de passer quelques jours avec le Prince héréditaire de Brunsvik dans la tournée qu'il â faite de quelques unes de nos garnisons de Flandre.
Il â vu de belles troupes, et il â été bien étonné des progrès que le militaire de France â fait à tous égards, tant du côté de la tenue, des manoeuvres, que de l'équitation. On lisoit dans ses ÿeux le plaisir qu'il auroit à mener de telles troupes à la guerre, et qu'il ne tient qu'à la France d'être une puissance invincible; ce Prince porte dans toutes ses actions et ses discours le caractère d'un grand home, il voit tout, et voit tout très bien; son voiage est plutôt cellui d'un filosofe, que cellui d'un grand seigneur. Il veut conoître les homes, et ce que notre siècle a de plus digne d'admiration. Jugés Monsieur, avec quels sentiments vous êtes un des points de vues de son empressement; il sera six semaines ou deux mois à Paris, et de là il veut s'aprocher de vous. Il ira à Geneve pour passer en Italie, mais c'est de Geneve qu'il conte de faire votre conoissance, et d'aller vous rendre homage; je lui ai dit que je vous préviendrai de cette visite, qu'elle vous seroit très agréable, et cella lui â fait un plaisir extrême. Je lui ai même promis que je lui ferois part de votre réponce à cet égard. Il m'écrira aussi pour m'instruire du tems où il quittera Paris. Je suis persuadé qu'il fera une très grande sensation dans ce pais là; il n'â que deux personnes avec lui, mais c'est par des circonstances bien plus grandes que celle d'une brillante suite qu'il se fait remarquer.
Vous avés vu l'estampe des Calas, elle n'est pas frappée au coin du Génie, mais elle me fait plaisir, elle est sur ma cheminée; c'est un monument, un tableau de vos bienfaits pour cette famille, prétieux à mon coeur en proportion de tout ce que je sens pour vous; le lt de police l'avoit permise, le Parlement l'a censuré, Mr le Duc de Choiseul a donné cent louis pour sa souscription.
J'ai un congé de la Cour, pour aller partager la succession de mon beaupère, mais je n'en profiterai pas dans ce moment ci, j'ai plus à coeur l'alignement de mon premier, second, et troisième rang, que tous les ouvriers de vigne que j'ai à partager avec mr de la Pottrie qui arrive d'Hollande pour cella. C'est ainsi que chaque home à sa folie; croiés cependant que la mienne ne prend rien sur ma pation pour vous, j'ai toujours les ÿeux et le coeur tourné vers Fernex, et votre souvenir et vos bontés feront toute ma vie l'objet le plus flateur de l'ambition de votre très humble et tout dévoué serviteur
C. d'Hermenches
Landreci 27e avril 1766
Madame Denis veut elle bien agréer l'assurance de mon tendre respect.