Berlin ce 27ejuin 1751
Quoi! Monsieur, non content de la gloire d'être historien, Philosophe, Bel Esprit & le Prince des Poëtes, vous voulés encor devenir Théologien; & d'un vol audacieux vous vous élevés d'abord à ce qu'il y a de plus sublime dans la Théologie, je veux dire à l'examen des miracles!
Salomon a bien raison de dire que l'œil ne se lasse point de voir, ni l'esprit de conoître; Et il faut, Monsieur, que la gloire soit un aliment bien creux, puisque après toute celle que vous vous étes déjà acquise, vous n'en étes pas encor rassasié. Je vois bien que come un Conquérant ambitieux vous ne penserés toute vôtre vie qu'à faire des nouvelles acquisitions, et que vous tendés à la monarchie universelle, vous n'aurés point de repos que toutes les sciences ne vous soïent assujetties.
Je vous dirai donc, pour répondre à vôtre question, que Grégoire de Nazianze, Basile, Cyprien & beaucoup d'autres sans doute ont crû que le miracle de la Pentecôte consistoit en ce que les Apôtres parlant leur langue naturelle, ne laissèrent pas de se faire entendre à cette foule de Juifs Etrangers qui se trouvo͞it à Jérusalem, come s'ils eussent parlé la langue de chacun d'eux.
Mais n'en déplaise à ces Doctes & saints personages, leur Comentaire ne s'accorde point avec le Texte Sacré qui dit expréssement, que les Apôtres comencèrent à parler diverses langues, selon que le St Esprit leur mettoit les paroles en la bouche.
Quant au discours de Saint Pierre, il y a toute aparence que cet Apôtre le fît en langue syriaque, come la plus conue & la plus usitée parmi les Juifs, & qu'alors le St Esprit exerçât son action sur les auditeurs plutôt que sur le Prédicateur.
Vous n'exigés pas de moi que je vous dise coment il s'y prit pour opérer ce prodige; vôtre sage réflexion, que rien n'est impossible à Dieu, doit suffire.
Aureste je ne désirerois pas moins que Vous le dernier miracle dont vous parlés: Je doute cependant qu'il en fallût un pour m'amener à cette bienveillance universelle que tous les homes devroit avoir les uns pour les autres; mon cœur s'y porte de lui même. N'est-il donc pas possible de penser différemment et de s'aimer? Ce que je sens pour vous, Monsieur, m'est une preuve bien convaincante de la possibilité de la chose.
A. A.