1734-04-29, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre Louis Moreau de Maupertuis.

Votre géomètre monsieur vient de me montrer votre lettre.
Je vous plains de son absence mais je suis baucoup plus à plaindre que vous s'il faut que j'aille à Londres ou à Bale, tandis que vous serez à Paris avec madame du Chatelet. Ce sont donc ces lettres anglaises qui vont m'exiler. En vérité je croi qu'on sera un jour bien honteux de m'avoir persécuté pour un ouvrage que vous avez corrigé. Je commence à soupçonner que ce sont les partisans des tourbillons et des idées innées qui me suscitent la persécution. Cartesiens, mallebranchistes, jansenistes, tout se déchaine contre moy. Mais j'espère en votre apuy. Il faut s'il vous plait que vous deveniez chef de secte. Vous êtes l'apôtre de Loke et de Neuton, et un apôtre de votre trempe avec une disciple comme madame du Chatelet rendroient la vue aux aveugles. Je crains encor plus mr le garde des sceaux que les raisoneurs. Il ne prend point du tout cette affaire cy en philosofe, il se fâche en ministre, et qui pis est en ministre prévenu et trompé. On luy a fait entendre que c'est moy qui débite cette édition, tandis que je n'ay épargné depuis un an ny soins ny argent pour le suprimer. J’étois bien loin assurément de la vouloir donner au public, il me suffisoit de votre aprobation. Madame du Chatelet et vous, ne me valez vous pas le public? D'ailleurs aurais-je eu je vous prie l'impertinence de mettre mon nom à la tête de l'ouvrage? y aurois-je ajouté la lettre sur Pascal que j'avois fait suprimer même à Londres?

Savez vous bien que j'ay fait prodigieusement grâce à ce Pascal? De touttes les proféties qu'il raporte, il n'y en a pas une qui puisse honnétement s'expliquer de Jesus Christ. Son chapitre sur les miracles est un persiflage. Cependant je n'en ay rien dit et l'on crie. Mais laissez moy faire. Quand je seray une fois à Bale je ne seray pas si prudent. En attendant je vous prie de faire connaître la vérité à vos amis. Il me sera plus glorieux d’être deffendu par vous qu'il n'est triste d’être persécuté par les sots. Je vous demande pardon d'avoir mis tant de paroles dans ma lettre, mais quand on écrit en présence de made du Chatelet on ne peut pas recueillir son esprit fort aisément. Adieu. Vous savez le respect que mon esprit a pour le vôtre. Ecrivez moy ou pour m'aprendre quelques nouvelles de ces lettres, ou pour me consoler. Je vous suis tendrement attaché pour la vie comme si j’étois digne de votre commerce.

V.