à Montjeu près d'Autun chez M. le Prince de Guise ce 23 Juin [1734]
Monseigneur,
Votre Eminence est aussi attentive au bonheur des particuliers qu’à la gloire de la couronne; et il n'y a point de sujet à qui vous ne permettiez d'aprocher de vous aussi facilement que vous envoyez des armées aux deux bouts de L'Europe.
C'est dans cette confiance que j'ose m'adresser à V. E. au sujet d'un livre nouvau qui paroit sous mon nom. Ce sont des lettres que j’écrivis de Londres il y a six ans. J'ay eu l'honeur d'en lire plusieurs manuscriptes à V.E.Les premières roulent principalement sur les quakers dont les tremblements et les grimaces ressemblent assez aux convulsions des jansenistes. La dernière lettre est écritte à l'ocasion des Pensées de Pascal. J'ay toujours regardé ce livre comme un livre de party, et plein de pensées fausses. J'ay pris la liberté de le dire, et Tiriot qui est à Londres a pris malgré moy la liberté de L'imprimer. Je n'ay épargné ny peines ny argent depuis plus d'un an pour étouffer cette édition, et j'ay la douleur, non seulement de voir qu'elle paroit, mais d'aprendre qu'on me soupçonne d'y avoir part.
On a eu la cruauté d'ajouter à ces lettres baucoup de choses hardies qui ne sont pas de moy, et ceux qui mettent l'esprit de party et la fausse dévotion à la place de la vertu ne manquent pas de me faire éprouver en cette occasion toute la violence de leurs cris, et tout le poids de leur caballe. Il n'y a sorte de Calomnies dont on n'ait voulu me noircir auprès de V.E.et de Mr le garde des sceaux. On acable avec fureur un homme qui vit dans la plus profonde retraitte, qui n'a jamais nui à personne, qui vit sans aucune ambition, et qui est (j'ose le dire) L'admirateur le plus sincère et le plus désintéressé de votre ministère.
Daignez me protéger Monseigneur. Vous ne pouvez acorder votre protection à un homme plus pénétré de zèle et d'attachement pour vous. Mr de Richelieu qui est un de vos plus passionez admirateurs, et qui vous est tendrement attaché, me servira de garand auprès de Votre éminence.
Je seray toutte ma vie avec le plus profond respect et la plus vive reconnoissance
Monseigneur
de votre Eminence
le très humble et très obéissant serviteur
Voltaire