1733-07-03, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre Robert Le Cornier de Cideville.

Je vous donne mon cher amy plus de soins que les plaideurs dont vous raportez les affaires, et je me flatte que vous avez égard à mon bon droit contre mr Pascal.
J'examine scrupuleuse mes petites remarques lorsque je relis l'épreuve, et je me confirme de plus en plus dans l'opinion que les plus grands hommes sont aussi sujets à se tromper que les plus bornez. Je pense qu'il en est de la force de l'esprit comme de celle du corps. Les plus robustes la perdent quelquefois, et les hommes les plus faibles donnent la main aux plus forts quand ceux cy sont malades. Voilà pourquoy j'ose attaquer Pascal.

Je renvoye à J . . . la dernière épreuve avec une petite addition. Je vous suplie de luy dire d'envoyer sur le champ au messager à l'adresse de Demoulin, deux exemplaires complets afin que je puisse faire l'errata, et marquer les endroits qui exigeront des cartons. Je prévoy qu'il y en aura baucoup. Je me souviens entre autres de cet endroit à l'article Bacon, Ses ennemis étoient à Londres ses admirateurs. Il y a, ou il doit y avoir dans le manuscript, Ses ennemis étoient à la cour de Londres, ses admirateurs étoient dans toutte l'Europe. De pareilles fautes, quand elles vont à deux lignes, demandent absolument des cartons.

Deplus en voyant le péril aprocher, je commence un peu à trembler, je commence à croire trop hardi ce qu'on ne trouvera à Londres que simple et ordinaire. J'ay quelques scrupules sur deux ou trois lettres que je veux communiquer à ceux qui savent mieux que moy à quel point il faut respecter icy les impertinences scolastiques, et ce ne sera qu'après leur examen et leur décision que je hazarderay de faire paroître le livre. J'ay écrit déjà à Tir. à Londres d'en suspendre la publication jusqu'à nouvel ordre. Il m'a envoyé la préface qu'il compte mettre au devant de l'ouvrage. Il y aura baucoup de choses à réformer dans sa préface comme dans mon livre. Ainsi nous avons pour le moins un bon mois devant nous. J. pendant ce temps peut fort bien imprimer le Charles douze. Je vais écrire à notre amy Formont et le remercier de sa remarque. Je l'avois déjà faitte et je n'ay pas manqué d'envoyer il y a plus d'un mois la correction à l'éditeur de Hollande.

Hier étant à la campagne n'ayant ny tragédie ny opera dans la tête, pendant que la bonne compagnie jouoit aux cartes, je commençay une épitre en vers sur la calomnie dédiée à une femme très aimable et très calomniée. Je veux vous envoyer cela bientôt en retour de votre allégorie.

Adieu mon cher amy. Il est une heure. Je n'ay pas le temps d'écrire à notre cher Formont cet ordinaire. Vous devriez bien relire avec luy tout l'ouvrage. Adieu animœ dimidium meœ.

V.