à Monjteu par Autun ce 6 may 1734
Je vois avec surprise et avec douleur monsieur que les clabauderies de mes indignes ennemis en imposent à un homme aussi éclairé que vous.
Devez vous écouter les pieuses et sottes clameurs des superstitieux imbécilles que le poison du jansenisme infecte, et qui pensent qu'on attaque dieu et l’état quand on se moque des convulsions des quaquers? Ce n'est point au magistrat de la police, c'est à l'homme d'esprit et à l'homme instruit de tout que j'ose écrire. N’écoutez point monsieur la sotte multitude de ceux qui sont sicut equus et mulus, quibus non est intellectus; elle murmure huit jours sans savoir pourquoy, et demeure ensuite dans un éternel silence sur les choses qui passent sa portée. Daignez consulter sur mon livre un mr de Maupertuis, un monsieur de Mairan, un mr Boindin, un mr de Fontenelle, un mr du Fay, un mr de la Condamine. Voylà des gens qui pensent, et dont le sentiment devient tôt ou tard celuy du public, parce qu’à la longue le vulgaire est toujours et en tout mené par un petit nombre d'esprits supérieurs, et cela en littérature, comme en politique.
Mon livre est traduit en anglais, et en allemand, et a plus d'aprobateurs dans l'Europe, que d'indignes critiques en France.
Je n'ay encor une fois nulle part à l’édition. Daignez vous servir de toutte votre autorité avec Jore, avec Bauche, avec la Pissot, avec quiconque est soupçonné.
Pour moy monsieur je vous demande instament ou de parler encor une fois de mon innocence à m. le Cardinal de Fleury, ou d'avoir la bonté de me mander, ou de me faire écrire par mr Dargental s'il faut que j'aille dans les pays étrangers chercher le repos et la considération qu'on me devoit au moins dans ma patrie. Je vivray partout honorablement, sans jamais me plaindre, sans rien regreter que quelques amis, et sans jamais oublier vos bontez. Distinguez moy je vous en prie monsieur de la foule qui vous importune comme magistrat, et ne daignez vous souvenir avec moy que de ce qu'un esprit supérieur comme le vôtre doit à l'humanité. Ma reconnoissance égalera mon attachement et le zèle tendre et respectueux avec le quel vous savez que je seray toujours votre très humble et obéissant serviteur
Voltaire
à Montjeu par Autun
Je vous suplie de m'honorer d'un mot de réponse.