à Toul ce 9 May 1754
Que pourois je répondre Monsieur à l'honeur que vous me faittes en m'envoyant votre dernier ouvrage?
J'ay le cœur percé de vous voir aux mains avec Mr de la Condamine. Tous deux vous avez daigné m'acepter pour confrère, je vous regarde comme des maitres, dont je voudrois sans cesse écouter les leçons; je suis lié avec mr de la Condamine par une tendre et ancienne amitié, je suis pénétré de la plus hautte estime pour vous, jugez Monsieur de tout ce que me doit faire souffrir une guerre aussi cruelle. Si je l'avois prévuë dans le dernier voyage que j'ay fait à Paris que n'aurois je pas fait pour la prévenir, et pour vous raprocher l'un de l'autre? C'eût été le jour le plus doux et le plus honorable de ma vie, et je me serois cru réellement utile à l'académie si j'y avois pu réussir. Je dois, Monsieur, à l'exacte vérité que dans ce temps là Mr de la Condamine ne m'a jamais parlé de vous que comme Toutte l'Europe en parle, permettez moy donc de me taire sur tout ce qui tient à la dispute personelle. Je ne dois que vous témoygner ma reconoissance des nouvelles instructions que vous me donez car mesme dans un ouvrage polémique il vous est impossible d'écrire sans vous rendre utile et sans instruire. Je désire plus que jamais que M. le Cte d'Argenson me permettra d'aller cette automne à Versailles. J'espère que Mr de Rejemorte et Mr de Réaumur me procureront l'honeur et le plaisir de diner quelques fois avec vous. Soyez sûr que je donerois de mon sang pour éteindre tout le feu d'une dispute aussi cruelle, que nul esprit de parti ne peut altérer mes sentimens pour l'un et pour l'autre, je suis sûr de l'amitié de Mr de la Condamine, je ferois tout au monde pour mériter la vôtre. Plaignez moy lorsque je suis témoin de vos débats, et soyez sûr du respect que m'inspire votre génie et de l'attachement sincère avec lequel j'ay l'honeur d'être
Monsieur et illustre confrère
Votre très humble et très obéïssant serviteur
De Tressan