1734-04-24, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre Robert Le Cornier de Cideville.

J’étois icy tranquille mon charmant ami, et je jouissois paisiblement du fruit de ma petite négociation entre Mr de Richelieu et melle de Guise.
Je n'ay pas trop l'air du blond Himenée, mais je faisois les fonctions de ce dieu charitable, et je me mêlois d'unir des cœurs par devant notaire, lors que les nouvelles les plus affligeantes sont venues troubler mon repos. Ces maudites lettres anglaises se débitent enfin sans qu'on m'ait consulté, sans qu'on m'en ait donné le moindre avis. On a l'insolence de mettre mon nom à la tête, et de donner l'ouvrage avec la lettre sur les pensées de Pascal, que j'avois le plus à cœur de suprimer.

Je ne veux pas soupçonner J. de m'avoir joué ce tour, par ce que sur le moindre soupçon il seroit mis sûrement à la bastille pour le reste de sa vie. Mais je vous suplie de me mander ce que vous en savez. En un mot si on pouvoit ôter mon nom du moins ce seroit une impertinence de sauvée. Je ne sçai où est ce misérable. Adieu, j'ay le cœur serré de douleur. Ecrivez moy pour me consoler, et faites mille tendres compliments pour moy à mon amy Formont. L'abbé Durenel est il à Rouen? en êtes vous bien content? Adieu. Ecrivez moy à Montjeu.