Je compte toujours sur votre amitié mon très cher abbé, et mon maitre, et je vous mets à l’épreuve.
Ecrivez moy si vous m'aimez tout ce qu'on dit de ces lettres anglaises qui paroissent depuis peu. C'est bien assurément malgré moy que l'on débite cet ouvrage. Il y a plus d'un an que je prenois les plus grandes et les plus inutiles précautions pour le suprimer. Il m'en a coûté quinzecent francs pour espérer pendant quelques mois, qu'il ne paroîtroit point. Mais enfin j'ay perdu mon argent, mes peines et mes espérances. Non seulement on m'a trahi, et l'on débite l'ouvrage, mais grâce à la bonté qu'on a toujours de juger favorablement son prochain, j'aprends qu'on me soupçonne de faire vendre moy même l'ouvrage. Je me flatte que vous me deffendrez avec vos amis, ou plutôt que ceux qui ont l'honneur d’être vos amis ne m'imputeront point de telles bassesses.
Mais vous mon cher abbé mandez moy ce que c’étoit que l'afaire qu'on vouloit vous susciter au sujet des rêveries de ce fou de père Hardouin. Faudra t'il que les gens de lettres en France soient toujours traitez comme les mathématiciens l’étoient du temps de Domitien? Ecrivez moy je vous prie au plus vite à Montjeu. J'y étois paisiblement ocupé à marier monsieur le duc de Richelieu à melle de Guise. L'avanture de ces lettres a rabatu ma joye et votre souvenir me la rendra.
V.
à Montjeu par Autun ce 25 avril 1734