Si votre lettre ne me faisoit pas trembler elle me feroit un plaisir extrême.
I'auouë qu'elle me fait une peur prodigieuse, elle détruit toutes les espérances que m. l'abé de R. m'auoit donné en partant. Il me semble que m͞r Rouillé lui auoit promis deux choses, l'une d'adoucir s'il étoit possible, et l'autre d'auertir en cas d'un danger, que ie ne crois pas vraisemblable icy. Cependant le mot de s'absenter qui est dans votre lettre me paroit équivoque. Désigne t'il vn plus grand esloignem͞t que celui où il est? c'est de quoi ie v͞s demande en grâce de m'esclaircir. Il escrit aujourd'hui à m͞r Roüillé au sujet de l'édition dont v͞s me parlés. Ie luy ay montré votre lettre. Il est bien touché de cette marque d'attention et d'amitié de votre part. Ie v͞s prie monsieur de vouloir bien remercier m͞r l'abé de R. de ma part et de le prier de vouloir bien continuer ses attentions p͞r cette affaire.
V͞s deués auoir reçu à présent vne grande lettre de moi, et ie n'ai attendu p͞r v͞s l'escrire que le départ de la poste. Ie cultiue peu icy la géométrie. V͞s saués que v͞s ne m'aués point laissé de tasche, mais ie n'ay assurém͞t pas besoin de cela p͞r penser à vous. Ce ne seroit que mon prétexte p͞r v͞s escrire plus souuent et plus longuement. Ie n'en ai pas besoin p͞r v͞s donner des marques de mon amitié et p͞r v͞s assurer du plaisir que ie trouue à en receuoir de la vôtre.
à Montjeu le 29e auril [1734]
à Montjeu par Autun le 6e may [1734]
à Montjeu par Autun le 6e may
Votre amitié monsieur a fait le charme de ma vie dans les tems les plus heureux p͞r moi, c'est à dire dans ceux où je v͞s voyois souuent, jugés combien elle m'est nécessaire dans le malheur. Ie viens de perdre Voltaire. Il vient enfin d'espargner une injustice à m͞r Chauuelin et bien des inquiétudes à ses amis. Il a pris le party d'aller chercher dans les payis étrangers le repos et la considération que l'on lui refuse si injustem͞t dans sa patrie. Son départ m'a pénétrée de douleur. Ie doutte quelques droits que l'amitié ait sur son cœur qu'il se résolue a reuenir dans vn payis où on le traite si indignem͞t. Votre estime et votre amitié le dédomagent bien des critiques des sots mais rien ne peut le dédomager de votre comerce. Ie suis bien persuadée que v͞s serés touché du sort d'un homme aussi aimable et aussi extraordinaire. Il faut espérer du moins que la haine de ses ennemis étant satisfaite, ils rendront justice à ses talens qui jusqu'à présent n'ont serui qu'à lui en attirer.
V͞s perdés en lui vn de vos plus grans admirateurs. Il espère bien que v͞s adoucirés les rigueurs de son éxil par les marques de votre souuenir et de votre amitié. Quand il se sera choisi vn asile contre la persécution il v͞s en priera lui même. Ie ne puis ie v͞s l'auouë me persuader qu'il y eût rien à craindre icy p͞r lui, mais peut on outrer les précautions quand il s'agit de la liberté?
Pardonnés moi monsieur si ie ne puis v͞s parler aujourd'hui que de mon afliction et soyés bien persuadé qu'elle ne m'empêche point de sentir le prix et les charmes de votre comerce.
I'ay reçu votre lettre et le p͞r et contre et ie v͞s en rens grâces.