1734-03-31, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre Robert Le Cornier de Cideville.

Mon cher amy je pars pour être témoin d'un mariage que je viens de faire.
J'avois mis dans ma tête il y a longtemps de marier mr le duc de Richelieu à mademoiselle de Guise. J'ay conduit cette affaire, comme une intrigue de comédie. Le dénoûement va se faire à Montjeu auprès d'Autun. Les poètes sont plus dans l'usage de faire des épitalames que des contracts, cependant j'ay fait le contract, et probablement je ne feray point de vers. Vous savez ce que dit madame de Murat.

Mais quand l'himen est fait c'est en vain qu'on réclame
Le dieu d'amour et les neuf doctes sœurs.
C'est le sort des amours et celuy des auteurs
D'échouer à l'épitalame.

Je pars dans une heure mon aimable Cideville. J'envoye devant tragédie, opera, versiculets, et totam nugarum supellectilem; c'est pour le coup que je vais travailler à vous faire transcrire tout ce que je vous dois. Formont vient de m'écrire une lettre où je reconois sa raison saine et son goust délicat. Messieurs les normans vous avez bien de l'esprit. L'abbé du Renel, autre normand, traducteur de Pope, homme qui sait penser, sentir et écrire est ou doit être à Rouen. Je luy ay dit que mon cher Cideville y étoit. Il le verra, et il en pensera comme moy. C'est un admirateur et un amy de plus que vous allez acquérir l'un et l'autre en faisant connoissance.

Je n'ay pas perdu toutte espérance sur Linant. Je ne crois pas qu'il ait jamais un talent supérieur, mais je croi qu'il sera un ignorant inutile aux autres et à luy même. Plein de goust, et d'esprit, sans imagination, il n'a rien de ce qu'il faut ny pour briller ny pour faire fortune. Il a la sorte d'esprit qui convient à un homme qui auroit vingt mille livres de rente. Voylà de quoy je le plains, mais de quoy je ne luy parle jamais. J'ay été mécontent de luy mais je ne l'ay dit qu'à vous et à mr de Formont. Adieu. Je vous aime avec tendresse. Je pars. Valete curæ.

V.