[6 février 1735]
Voylà le petit compliment que je vous faisois mon cher amy en arrangeant ces guenilles que j'aurois dû vous envoyer il y a longtemps. Votre lettre du vingtquatre janvier me fait rougir de ma paresse, mais quand il faut revoir tant de petites pièces dont la pluspart sont bien foibles, et qu'on sent qu'il faut vous les envoyer, on est honteux, et on demande du temps. Enfin vous les aurez ce mois cy, mal en ordre, mal transcrittes nec Sosiorum pumice mundœ. Il y en a même quelques unes qui manquent. Je n'ay point par exemple, cette espèce d'épitalame à me de Richelieu. Si vous l'avez, faittes moy le plaisir de me l'envoier. Je vous avertis encor que je mets une condition fort raisonable à mon marché, c'est que vous aurez la bonté quand vous m'écrirez de grossir votre paquet, de quelques unes de vos petites pièces. Je veux absolument avoir de vos vers pour vos maitresses. Ils doivent être bien tendres, et bien animez, quoy que pleins d'esprit. Eguaiez ma solitude mon cher amy par ces petits ouvrages qui doivent respirer la volupté.
N'êtes vous pas bien content de L'épître de mr de Formont à l'abbé de Renel? Mais comment va la tragédie de mr Linant? Je luy ay donné là nn sujet bien hardi, et bien difficile à traitter. S'il s'en tire avec honneur, son coup d'essay sera un coup de maitre. Je réponds qu'il y aura des vers mâles et touts brillants de pensées. A l'égard de l'intérest et de l'art d'attacher et d'émouvoir le cœur pendant cinq actes c'est un don de dieu qu'il refuse quelque fois même à ses êlus. Et puis il y a sur les pièces de téâtre une destinée bizarre qui trompe la prévoyance de presque tous les jugements qu'on porte avant la représentation. Je n'aurois jamais osé prédire le succez de Didon. Cependant elle a réussi. Il y a une chose sûre, c'est que le public est toujours favorable à la première pièce d'un jeune homme. J'ay une grande impatience de revoir Ramesses. Engagez m. Linant, à m'en envoyer une copie. Il n'y a qu'à l'adresser par le coche chez Demoulin. Et qui esce donc que ce jeune philosophe faiseur d'épigrammes, qui lit Neuton, et qui plaisante avec esprit? ne pourais-je être en relation avec ce petit prodige?
Je ne suis point surpris de la manière dont ce mal de C. a été reçu. On ne dit aux gens que ce qu'on sait. Mon cher Cideville si vous revoyois j'ay bien de quoy vous amuser. Nous avons huit chants de faits de notre pucelle mais dieu merci notre pucelle est dans le goust de l'Arioste, et non dans celuy de Chapelain.
Recomandez un profond secret au père de Ramesses sur certains Americains dont il a vu la naissance.
Vale et me semper ama.