1739-04-03, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre Robert Le Cornier de Cideville.

Mon cher amy, je vous remercie d'un des plus grands plaisirs que j'aye goûtez depuis longtemps.
Je viens de lire des morceaux admirables dans une tragédie pleine de génie, et où les ressources sont aussi grandes que le sujet étoit ingrat. Mon cher Pollion, amy des arts, qui vous connaissez si bien en vers, qui en faites de si aimables, je vous adresse mes sincères remerciments pour mr de la Noue. Si vous trouviez que mes petites idées valussent la peine de paraître à la queue de sa pièce, je m'en tiendrois honoré. Dites je vous prie à l'auteur que je suis à jamais son partisan et son amy. Vous savez mon cher Cideville si mon cœur est capable de jalousie, si les arts ne me sont pas plus chers que mes vers. Je ressens vivement les injures, mais je suis encor plus sensible à tout ce qui est bon. Les gens de lettres devroient être tous frères, et ils ne sont presque tous que des faux frères.

J'espère de la pièce de Linant. Elle n'est pas au point où je la voudrois, mais il y a des bautez. Elle peut être jouée et il en a besoin. Adieu mon très cher amy. Madame du Chastelet vous fait mille compliments. Vous luy êtes présent quoy qu'elle ne vous ait jamais vu. Adieu.

V.