à Cirey, ce 15 octob. [1736]
Si vous êtes à st Vrin tant mieux pour vous, si vous etes à Paris tant mieux pour vos amis qui vous voyent.
Ce bonheur n'est pas fait pour moy, mais on ne sauroit tout avoir. Au moins ne me privez pas de celuy de recevoir de vos nouvelles. Je demande le secret plus que jamais sur cet anonyme qu'on joue. Vous connaissez l'envie, vous savez comme ce vilain monstre est fait. S'il savoit mon nom il iroit déchirer Le même ouvrage qu'il aprouve. Gardez moy donc, vous, Pollion et Polimnie un secret inviolable. N’êtes vous pas faits pour avoir toutes les vertus? Je vous le demande avec la dernière instance.
Je persiste à trouver les trois épitres de Roussau mauvaises en tout sens, et je les jugerois telles si Roussau étoit mon amy. La plus mauvaise est sans contredit celle qui regarde la comédie. Elle est digne de l'auteur des ayeux chimériques, et se ressent tout entière du ridicule qu'il y a dans un très mauvais poète comique de donner des règles d'un art qu'il n'entend point.
Je croi que la meilleure manière de luy répondre, est de donner une bonne comédie dans le genre qu'il condamne. Ce seroit là la seule manière dont tout artiste devroit répondre à la critique.
Je vous envoye la lettre du prince de Prusse. Ne la montrez qu’à quelques amis. On m'y donne trop de louanges.
La lettre de mr Cocchi n'est pas à la vérité moins pleine d’éloges, mais elle est instructive, elle a déjà été imprimée dans plusieurs journaux, et il est bon d'oposer le témoignage impartial d'un académicien de la Crusca aux invectives de Roussau et de Desfontaines.
J'ay adressé ma réponse au prince royal, à mr votre frère, pour la remettre au ministre de Prusse que je ne conois point.
A L’égard de l’épitre en vers que j'adresse à ce prince, je l'ay envoyée à mr Berger pour vous la montrer, mais je serois au désespoir qu'elle courût. L'ouvrage n'est pas fini. J'ay été deux heures à le faire, il faudrait être trois mois à le corriger, mais je n'ay pas de temps à perdre dans le travail misérable de compasser des mots.
Un temps viendra où j'auray plus de loisir, et où je corrigerai mes petits ouvrages. Je touche à l’âge où L'on se corrige, et où L'on cesse d'imaginer.
Avez vous reçu un Descartes?
Je vous renverray Le déiste Chubb incessament.
Mille respects à votre petit parnasse.
V.