1737-12-21, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas Claude Thieriot.

Je réponds en hâte mon cher amy à votre lettre du 18 touchant l'article qui concerne mes nièces.
Vous mandez à madame la m. du Ch. que vous pensez que je veux faire plus de bien à ce gentilhomme que je propose qu’à ma nièce même. Je crois en faire baucoup à tous les deux et je crois en faire à moy même en vivant avec une personne à qui le sang et l'amitié m'unissent, qui a des talents, et dont l'esprit me plaît baucoup. Je trouve de plus une charge très honnête, convenable à un gentilhomme, et qui plus est lucrative que ma nièce pourait acheter et qui luy apartiendroit en propre. Je conois moins la cadette que l'aînée. Mais quand il s'agira détablir cette cadette je feray tout ce qui sera en mon pouvoir. Si ma nièce aînée étoit contente de sa champagne, et qu'elle voulut avoir un jour sa sœur auprès d'elle, si cette sœur, aimoit mieux être dame de châtau que citadine de Paris malaisée je trouverois bien à la marier dans notre petit paradis terrestre. Au bout du compte je n'ay réellement de famille qu'elles. Je serai très aise de me les attacher. Il faut songer qu'on devient vieux, infirme et qu'alors il est doux de retrouver des parents attachez par la reconnaissance. Si elles se marient à des bourgeois de Paris serviteur très humble, elles sont perdues pour moy. Vieillir filles est un piètre état. Les princesses du sang ont bien de la peine à soutenir cet état contre nature. Nous sommes nez pour avoir des enfans. Il n'y a que quelques fous de filosofes du nombre desquels nous sommes à qui il soit décent de se sauver de la règle générale.

Je peux vous assurer enfin que je compte faire le bonheur de la Mignot. Mais il faut qu'elle le veuille, et vous qui êtes fait pour le bonheur des autres c'est votre métier de contribuer au sien. Faites ma cour mon cher ami à Pollion, à Polimnie, à Orphée.

J'ay été obligé de donner cet enfant prodigue pour apaiser les libraires de hollande que j'ay engagez à différer la publication de mes Elements de Neuton. Je voulois les soumetre à l'examen à Paris. Cet examen m'est bien rigoureux. Je ne peux obtenir le privilège. Je n'ay pas encor pu répondre au prince. Plura alias. Je vous embrasse tendrement. Made du Ch. vous fait mille amitiez.