ce 7 mars 1739 à Cirey
Mon cher amy, vite un petit mot.
Je reçois votre aimable lettre. Je vais vous envoyer le commencement de cet essay sur le siècle de Louis 14. Votre suffrage est toujours le premier que j'ambitionne.
Embrassez pour moy mon confrère la Noue. On dit que sa pièce est excellente; j'y prends part de tout mon cœur et par cette raison, que la pièce est bonne, et par cette autre raison si persuasive pour moy, que vous aimez l'auteur. Si vous pouviez l'engager à l'envoyer à l'abbé Moussinot, cloitre st Méry, par le coche, je l'aurois au bout de sept jours. Ce sont des fêtes pour Cirey, car quoy qu'entourez de sphères et de compas, nous aimons les baux vers comme vous. Si la pièce ne vous étoit pas dédiée, je voudrois qu'elle pût l'être à madame du Chastelet. Cela pouroit nous lier avec mr de la Noue quand nous habiterons à Paris. Je sçai que c'est un garçon très estimable. Madame du Chastelet ne sait pas un mot de ce que je vous écris, mais voicy mon idée mon cher amy. Vous savez peutêtre que quand je dédiay Alzire à me Duch. quelques personnes murmurèrent, que des hommages publics déplurent à quelques yeux malins; or si un étranger lui dédioit une pièce de téâtre qu'auroit la malignité à dire? Je vous avoue que je serois enchanté, et que mr de la Noue pouroit compter sur ma reconnaissance. Enfin s'il est à Rouen je mets cette négociation entre vos mains.
Mes compliments je vous prie à ce jeune chirurgien. Je sçais ses quatre prix, et je connois son mérite. J'attends son livre avec une impatience que j'ay pour tous les baux arts.
Ce que j'ay entre les mains de l'illustre marquis est toujours au service de mon cher et tendre amy de Cideville.
Mes lettres sont courtes, mais mes travaux sont longs et c'est pour vous ingrat que je travaille. Vous verrez, vous verrez. Madame du Ch. vous fait les plus sincères compliments.
Adieu mon très cher amy.
V.