1734-04-24, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Frédéric Phélypeaux, comte de Maurepas.

Monseigneur,

Si mon goust décidoit de ma conduitte je passerois ma vie à vous faire ma cour, mais je la passe ou à être malade, ou à être calomnié, et persécuté.
Ces lettres anglaises qui vous ont amusé, et dans les quelles vous avez trouvé deux choses que vous aimez assez, des véritez et des plaisanteries, paroissent enfin, et je vous jure qu'on les débite malgré moy, que je n'ay épargné depuis un an ny soins ny argent pour les suprimer, et que je suis au désespoir. On me menace, on irrite contre moy M. le garde des sceaux. Il y a longtemps que j'ay tâché de prévenir cet orage, mais inutilement. Je viens d’écrire encor à M. le Cardinal qui est instruit de cette affaire. Votre protection seule peut me tirer du margouillis. Innocent ou non, vous conoissez ma santé et vous savez que l'exil ou la prison me tueroit net. J'ose vous demander en grâce Monseigneur de vouloir bien placer àpropos un petit mot qui me sauvera.

Je compte baucoup sur ce que les jansenistes sont assez mal traittez dans ces lettres. Je n'ose Monseigneur vous suplier de me faire savoir ce que je dois faire dans cette conjoncture. Cela est trop fort. Je dois me borner à vous assurer que j'auray l'honeur de vous être attaché toutte ma vie avec la plus vive reconoissance.

Je suis avec un profond respect

Monseigneur

votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire