à Bruxelles ce premier aoust 1741
Je vous remercie monsieur de la figure que vous avez bien voulu m'envoyer de la machine dont vous vous servez pour fixer l'image du soleil.
J'en feray faire une sur votre dessein, et je seray délivré d'un grand embaras, car moy qui suis fort maladroit j'ay toutes les peines du monde dans ma chambre obscure, avec mes miroirs. A mesure que le soleil avance les couleurs s'en vont; et ressemblent aux affaires de ce monde qui ne sont pas deux moments de suitte dans la même situation. J'apelle votre machine un Sta sol. Depuis Josué personne avant vous n'avoit arrêté le soleil.
J'ay reçu dans le même paquet l'ouvrage que je vous avois demandé dans le quel mon adversaire employe environ trois cent pages au sujet de quelques pensées de Pascal que j'avois examinées dans moins d'une feuille. Je suis toujours pour ce que j'ay dit: le défaut de la plus part des livres est d'être trop longs. Si on avoit la raison pour soy, on seroit court, mais peu de raison et baucoup d'injures ont fait les trois cent pages.
J'ay toujours cru que Pascal n'avoit jetté ses idées sur le papiers que pour les revoir, et en rejetter une partie. Le critique n'en veut rien croire; il soutient que Pascal a[i]moit touttes ses idées, et qu'il n'en auroit retranché aucune. Mais s'il savoit que les éditeurs eux mêmes en supprimèrent la moitié, il seroit bien surpris.
Il n'a qu'à voir celles que le père des Molletes a recouvrées depuis quelques années écrittes de la main de Pascal même, il sera bien plus surpris encore. Elles sont imprimées dans le receuil de littérature. En voicy quelques unes.
Si selon les lumières naturelles il y a un dieu, il n'a ny bornes, il n'a aucun raport à nous; nous sommes donc incapables de connaître ni ce qu'il est, ny s'il est.
Croyez vous en bonne foy Monsieur que Pascal eût conservé ce s'il est? aparemment que le père Hardouin avoit vu cette pensée quand il mit Pascal dans sa ridicule liste des athées modernes.
Je ne me sentirois pas assez de force pour trouver dans la nature de quoy convaincre des athées.
Mais Clarke, Loke, Volf et tant d'autres ont eu cette force et assurément Pascal l'auroit eue.
Touttes les fois qu'une proposition est inconcevable il ne faut pas la nier mais examiner le contraire, et s'il est manifestement faux on peu affirmer Le contraire tout incompréhensible qu'il est.
Pascal avoit oublié sa géométrie quand il faisoit cet étrange raisonnement. Deux quarréz font une cube, deux cubes font un quarré; voilà deux propositions contraires, toutes deux également absurdes, etc.
Je veux vous faire voir une chose infinye et indivisible, c'est un point la mouvant partout d'une vitesse infinie, car il est en tout lieux et tout entier.
Voilà qui est bien antimatématique, il y a là autant de fautes que de mots. Assurément de telles pensées n'étoient pas faites pour être employées; mon critique changera un peu d'avis s'il va à votre Ecole.
Il s'en faut bien qu'on doive aveuglément croire tout ce que Pascal a dit. Il croyoit. Illt croyoit dans sa dernière année voir toujours un abîme à côté de sa chaise. Faudroit il pour cela que nous en imaginassions autant? Pour moy je vois aussi un abîme, mais c'est dans les choses qu'il a cru expliquer.
Vous trouverez dans les mélanges de Leibnits que la mélancolie égara enfin la raison de Pascal; il le dit même un peu durement. Il n'est pas étonnant après tout qu'un homme d'une imagination triste comme Pascal soit à force de mauvais régime, parvenu à déranger les organes de son cervau. Cette maladie n'est ny plus surprenante ni plus humiliante que la fièvre et la migraine. Si le grand Pascal en a été attaqué c'est Samson qui perd sa force.
Je ne sçais de quelle maladie étoit affligé le docteur qui argumente si amèrement contre moy. Mais il prend le Change en tout et principalement sur l'état de la question.
Le fonds de mes petites notes sur les pensées de Pascal c'est qu'il faut croire sans doute au péché originel puisque la foy l'ordonne et qu'il faut y croire d'autant plus que la raison est absolument impuissante à nous aprendre que la nature humaine est déchue. La révélation seule peut nous l'aprendre: Platon s'y étoit jadis cassé le nez. Comment pouvoit il savoir que les hommes avoient été autrefois plus baux, plus grand, plus fort, qu'ils avoient eu de belles ailes, et qu'ils avoient fait des enfans sans femmes?
Tous ceux qui se sont servis de la phisique pour prouver la décadence de ce petit globe de notre monde n'ont pas eu meilleur fortune que Platon. Voyez vous ces vilaines montagnes? disoient ils, ces mers qui entrent dans les terres? ces lacs sans issue? Ce sont de débris d'un globe maudit. Mais quand on y a regardé de plus près, on a vu que ces montagnes étoient nécessaires pour nous donner des rivières et des mines, et que ce sont de perfections d'un monde bénit.
De même mon censeur assure que notre vie est fort racourcie en comparaison de celle des corbaux et des cerfs; il a entendu dire à sa nourice que les cerfs vivent trois cents ans, et les corbaux neuf cens. La nourice d'Hercide luy avoit fait aussi aparemment le même conte. Mais mon filo[so]phe n'a qu'à intéroger quelque chasseur, il saura que le[s] cerfs ne vont jamais à vingt ans; il a bau faire, l'homme est de tous les animaux celuy à qui dieu a donné la plus longue vie, et quand mon critique me montrera un corbaux qui aura cent deux ans comme monsieur de st Aulaire, et madame de Chanclos il me fera plaisir.
C'est une étrange rage, que celle de quelques messieurs qui veullent absolument que nous soyons misérables. Je n'aime point un charlatan qui veut me faire acroire que je suis malade pour me vendre ses pillules. Garde ta drogue mon amy et laisse moy ma santé, mais pourquoy me dis tu des injures par ce que je me porte bien, et que je ne veut point de ton orviétan?
Cet homme m'en dit de très grossières selon la louable coutume des gens pour qui les rieurs ne sont pas. Il a été déterrer dans je ne sçai quelle journal je ne sçai quelles lettres sur la nature de l'âme que je n'ay jamais écrittes, et qu'un libraire a toujours mises sous mon nom à bon compte, aussi bien que baucoup d'autres choses que je ne lis point. Mais puisque cet homme les lit, il devoit voir qu'il est évident que ces lettres sur la nature de l'âme ne sont point de moy, et qu'il y a des pages entières copiées mot à mot de ce que j'ay autrefois écrit sur Loke. Il est clair qu'elles sont de quelqu'un qui m'a volé. Mais je ne vole point ainsy, quelque pauvre que je puisse être.
Mon docteur se tue à prouver que l'âme est spirituelle. Je veux croire que la sienne l'est, mais en vérité ses raisonnemens le sont fort peu.
Il veut donner des souflets à Loke sur ma joue, parce que Loke a dit que dieu étoit assez puissant pour faire penser un élément de la matière.
Loke ne dit ny ne sait de quoy est fait l'entendement humain, il se borne à conduire ses opérations à nous montrer nos faiblesses, et à croire que dieu en sait plus que nous.
Plus je relis Loke, et plus je voudrois que tous ces messieurs l'étudiassent. Il me semble qu'il a fait comme Auguste qui donna un édit, de coercendo intra fines imperio. Loke a resserée l'empire de la science pour l'affermir. Qu'esce que l'âme? je n'en sçais rien. Qu'esce que la matière? je n'en sçais rien. Voilà Joseph Leibnits qui a découvert que la matière est un assemblage de monades. Soit. Je ne le comprends pas ny luy non plus. Eh bien mon âme sera une monade! Ne me voilà t'il pas bien instruit? Je vais vous prouver que vous êtes immortels, me dit mon docteur, mais vraiment il me fera plaisir. J'ay tout aussi grande envie que luy d'être immortel. Je n'ay fait la Henriade que pour cela. Mais mon homme se croit bien plus sûr de l'immortalité par ses arguments que moy par ma Henriade.
Vanitas vanitatum, et métaphisica vanitas.
Mesurer, peser, calculer, voilà ce qu'a faittes Neuton, voilà ce que vous faites avec monsieur Mushembrock. Mais pour les premiers principes des choses nous n'en sçavons pas plus qu'Epistémon et maître Editue. Les philosophes qui font de sistème sur la secrette construction de l'univers, sont comme nos voiageurs qui vont à Contantinople et qui parlent du serrail; il n'en ont vu que les dehors, et ils prétendent savoir ce que fait le sultan avec ses favorites. Adieu monsieur, si quelqu'un voit un peu, c'est vous. Mais je tiens mon censeur aveugle, j'ay l'honneur de l'être aussi, mais je suis un quinze vingt de Paris et luy un aveugle de province. Je ne suis pas assez aveugle pourtant pour ne pas voir tout votre mérite et vous saurez combien mon cœur est sensible à votre amitié.