à Bruxelles ce 10 aoust 1741
Je ne mettray pas mon cher aplatisseur de mondes et de Cassinis, de tels quatrains au bas du portrait de Christian Volfius.
Il y avoit longtemps que j'avois vu avec une stupeur de monade, quelle taille ce bavard germanique assigne aux habitans de Jupiter. Il en jugeoit par la grandeur de nos yeux, et par l'éloignement de la terre au soleil. Mais il n'a pas l'honneur d'être l'inventeur de cette sottise, car un Volfius met en trente volumes les inventions des autres, et n'a pas le temps d'inventer. Cet homme là ramène en Allemagne toutes les horreurs de la scolastique surchargées de raisons suffisantes, de monades, d'indiscernables, et de touttes les absurditez scientifiques que Leibnits a mis au monde par vanité, et que les allemans étudient parce qu'ils sont allemans. C'est une chose très déplorable qu'une française telle que made du Chastelet ait fait servir son esprit à broder ces toiles d'araignées. Vous en êtes coupable, vous qui luy avez fourni cet entouziaste de Kœnig, chez qui elle puisa ces hérésies, qu'elle rend si séduisantes. Si vous étiez assez généreux pour m'envoyer votre cosmologie, je vous jurerois bien par Neuton et par vous de n'en pas tirer de copie, et de vous la renvoyer après l'avoir lue. Il ne faut pas que vous mettiez la chandelle sous le boisseau, comme dit noblement, qui vous savez, et en vérité un homme qui a le malheur d'avoir lu la cosmologie de Cristianus Volfius a besoin de la vôtre pour se dépiquer.
Est il vray qu'Euller est à Berlin? vient il faire une académie des sciences au rabais? Le comte Algarotti vous a t'il écrit? Je m'imagine que la même âme charitable qui m'avoit fait une tracasserie avec votre très vive philosophie, m'en a fait une avec sa politique?
Le roy m'écrit toujours comme à l'ordinaire et dans le même stile; Keizerling est toujours malade à Berlin où je croi qu'il s'ennuye, et où probablement vous ne vous ennuierez plus. On dit que vous allez dans un lieu baucoup plus agréable, et chez une dame qui vaut mieux que tous les rois que vous avez vus. Il n'y a pas d'apparence que celle là devienne Volfienne.
Plus on lit, plus on trouve que ces métaphisiciens là ne savent ce qu'ils disent; et tous leurs ouvrages me font estimer Loke d'avantage. Il n'y a pas un mot de vérité par exemple dans tout ce que Mallebranche a imaginé. Il n'y a pas jusqu'à son sistème sur l'aparente grandeur des astres à l'horizon qui ne soit un roman. Mr Smith a fait voir en dernier lieu que c'est un effet très naturel des règles de L'optique. Votre vieille académie sera encor bien fâchée de cette nouvelle vérité découverte en Angleterre. Cependant Privat de Molière, qui ne vaut pas Poquelin de Moliere, aprofondit toujours le tourbillon, et les professeurs de l'université enseignent ces chimères, tant les professeurs de toute espèce sont faits pour tromper les hommes !
Bonsoir, Madame du Chastelet, qui dans le fond de son cœur sent bien que vous valez mieux que Volf, vous fait des compliments dans les quelles il y a plus de sincérité que dans ses idées leibnitiennes. Je suis à vous pr jamais.
V.