1761-06-02, de Charlotte Sophia van Aldenburg, countess of Bentinck à Wilhelmina Maria von Hesse-Homburg, countess of Aldenburg.

Je n'auray l'honneur de vous Ecrire que quelque peu de mots aujourd'huy, ma très chère mère, puisque demain vous aurez 4 pages de ma façon par une autre route.
Celle Cy n'est que pour vous dire que le 25. May j'ay Eu Celuy de vous Ecrire une grande Epitre de 10 pages qui répond à toutes vos questions et récapitule toutes les Choses que je vous avois marquées et qui ne vous sont pas parvenues. Cette lettre que j'espère avoir Envoyée par une voye sûre vous aura été remise j'espère, et j'en attends l'avis avec impatience.

Pour aujourd'huy je ne veux que vous envoyer la très jolie Réponce que Mr. de Voltaire vient de faire au Logogriphe de la psse de Trautson dont il estoit le mot. Je la répète ici puisque vous pourriez l'avoir égarée affin que l'idée s'en rapelle à votre Esprit et vous fasse sentir l'agrément de la réponce. Je Crois que cela amusera le Ct de Linar et me de Reventlau. Tout le monde ici l'a trouvé Charmant, et a jugé que la Princesse par sa très jolie Enigme a bien mérité cette agréable et galante réponce.

Logogriphe de la psse de Trautson

Quel est cet objet qui s'élance?
Qui par son vol audacieux
Trainant après luy le silence
Captive l'esprit et les yeux?
Qui peint les vertus et les vices
Par d'innefaçables Couleurs?
Qui de la source des Délices
Les fait germer dans touts les Coeurs?
Des Dieux il parle le langage,
De l'homme il Eclaire l'esprit!
Pourquoi faut il que Ce vray Sage
Plus d'une fois En ait trop dit?

Réponce de Mr. de Voltaire à l'illustre dame
qui me soubçonne d'en avoir trop dit

Je n'ay pas L'honneur d'être sage,
Mes Ecrits sont peu Compassez,
J'en disais trop dans mon jeune âge,
Mais si je viens vous rendre homage,
Quoi que mes beaux jours soient passez,
Je vous En diray daventage
Et je n'en diray point assez.

Vous m'avouerez madame que cela s'apelle bien attaqué et bien deffendu. J'avois Envoyé ce petit Logogriphe à Mr de Voltaire par me Denis sa nièce. Elle me répond, voici ce qu'elle me dit:

"Mon oncle bâtit actuellement une Eglise dans son Château de Fernex, et finira par un Théâtre. Vous voyez madame qu'il remplit touts ces devoirs, c'est à vous à le justifier aux yeux de touts vos Rigoristes d'Alemagne. Si vous vous Chargiés de sa Cause, Elle seroit En si bonnes mains que je ne désespérerois pas que vous ne le fissiez Cannoniser un jour à Vienne, mais il l'est déjà, puisqu'une princesse fait pour luy des Choses Charmantes. Je vois avec des yeux d'envie que les Almandes vallent bien mieux que les Françoises, on ne peut faire plus agréablement des vers, ny loüer plus finement."

Mr de Voltaire prend la plume après cela luy même et m'écrit les jolis vers que vous venez de lire. On c'est arraché cette lettre ici, Mr. de Kaunits et touts les gens de goust tenoient le Crayon à la main et Copioient pendent que l'on lisoit. Il est sûr que Mr de Voltaire est grand dans les petites Choses Comme dans les grandes.

Hâtés vous après cela de me dire madame que vous avez reçu mon Epitre du 25e May, et daignez vous assurer de mon plus respectueux et plus tendre attachement.

CS

La princesse vous fait des millions de Compliments, le prince et Elle ont bu ce midy à votre santé de bon Coeur.