A Paris ce 2 Obre [September] 1776
J'ai reçeu hier, mon cher ami, votre lettre du 27 d'auguste, j'y réponds aujourd'hui.
Cet empressement ne doit pas vous surprendre. Vous avés, depuis longtems, le suffrage de la Reine. Il entraine nécessairement sa protection, mais elle prendroit bien plus de force si elle étoit animée par votre présence. Vous êtes le premier des auteurs passés, présents et avenir et peut-être le seul qui gagne à être connu autrement que par ses ouvrages. Ah mon ami! sçavés vous combien il m'est douloureux de voir arriver me Denis sans vous? C'étoit une occasion qui ne se retrouvera plus. Il faut que je renonce à cet espoir dont la réalité auroit fait le charme de ma vie. On n'abandonne point sa maitresse pour ses amis. Fernai est devenu la vôtre par les bienfaits sans nombre que vous y avés répandu. J'ai tâché de vous persuader que la retraite de mr Turgot, quoique très fâcheuse, ne vous faisoit pas perdre le fruit de vos soins. Vous persistés dans le chagrin qu'elle vous cause sans paroitre touché des raisons qui peuvent l'affoiblir. Cependant tout se réduit à mettre dans la forme un peu plus de règle en laissant subsister le fond.
Je ne conçois pas ce que vous me mandés de le Kain. Vous m'assurés qu'il ne vous a rendu aucun compte sur ce qui a empêché Olimpie d'être jouée. Il pouvoit vous dire, avec vérité, qu'il a fait tout ce qu'il a pu pour en procurer les représentations à Paris et à Fontainebleau, mais que l'arrangement pris pour les pièces nouvelles et les études qu'elles entrainent y ont mis des obstacles invincibles. Je ne lui crois point l'ambition que vous lui supposés. Il prouve par les rosles dont il s'est souvent chargé, qu'il prend également les bons et les rosles médiocres. S'il ne consentoit qu'à jouer les premiers il ne paroitroit jamais dans les tragédies nouvelles. Vous le soupçonnés de n'être venu à Ferney que pour gagner de l'argent. Je vous assure que son principal motif a été de répondre à la bonté que vous aviés de l'y désirer. Il a accordé trois représentations à Besançon qui lui ont été demandés par mr et me de Segur avec les instances les plus vives, et en vérité, quand il entreroit un peu d'intérêt dans ses démarches, il seroit fort excusable. Il éprouve encor un malheur qui achève de lui ôter ce qu'il avoit pu sauver de sa petite fortune. Dalinval, un de ses camarades, lui fait banqueroute de plus de 5000lt. Bayard est, je vous l'avoue, un très mauvais choix, mais il a fallu varier et se reposer par une pièce médiocre (qu'on aime pourtant beaucoup dans les provinces) de la fatigue des rosles qui sont dans vos tragédies admirables et qui demandent tous ses efforts. Je me suis étendu sur la justification de le Kain que je n'ai point concerté avec lui puisque je ne l'ai pas vu. Je ne l'ai fait que par amour pour la vérité et parce que je connois tous les sentiments dont il est pénétré pour vous, n'en parlant jamais qu'avec le plus grand attendrissement sur tout ce qu'il vous doit. Vous ne me dites rien des notes qu'il vous a remis. Elles contiennent mes observations et celles de mr de Thibouville par rapport à des retranchements très nécessaires et très faciles à faire. Assurément que j'ai assisté au jugement de votre procès je jour de la st Louis. Les applaudissements n'ont laissé aucun doute sur une victoire qui sera encor plus complète lorsque vous aurés mis la dernière main à cet excellent ouvrage. Le papillon philosophe s'est envolé pour moi. Elle ne m'a pas donné signe de vie. Elle m'avoit promis de m'écrire souvent et très souvent. Le papier me manque.