1775-02-04, de Voltaire [François Marie Arouet] à Frederick II, king of Prussia.

Sire,

Pendant que d'Etallonde Morival vous construit des citadelles sur le papier et les assiège, pendant qu'il dessine des montagnes, des vallées, des lacs, le vieux malade de Ferney s'est avisé de faire une tragédie qu'il prend la liberté de mettre aux pieds de votre majesté.
Il vous supplie de ne la pas lire, parce qu'elle n'en vaut pas la peine; mais daignez du moins jeter un petit coup d'œil sur un petit Voyage de la raison et de la vérité, et sur une note de la Tactique, dans laquelle l'éditeur a mis je ne sais quoi qui vous regarde.

Pardonnez lui sa hardiesse, car il faut bien que Julien-Marc-Aurèle permette de dire ce qu'on pense.

Nous touchons au temps où il faut que l'affaire de d'Etallonde Morival s'éclaircisse; il compte écrire dans quelque temps, ou au chancelier de France, ou au roi de France lui même. Votre majesté lui permettra-t-elle de prendre le titre de votre ingénieur? J'ose vous assurer qu'il est digne de l'être.

Permettriez vous aussi qu'il fût lieutenant, au lieu d'être sous-lieutenant? L'honneur de vous appartenir n'est pas une vanité; c'est une gloire qui en impose, et qui peut le faire respecter des Velches.

Il ne fera partir sa lettre qu'après que je l'aurai mise sous vos yeux et que vous l'aurez approuvée. Vous serez étonné de cette affaire, qui est, comme je vous l'ai déjà dit, cent fois pire que celle des Calas. Vous y verrez un jeune gentilhomme innocent, condamné au supplice des parricides, par trois juges de province, dont l'un était un ennemi déclaré, et l'autre un cabaretier, marchand de cochons, autrefois procureur, et qui n'avait jamais fait le métier d'avocat; j'ignore le troisième. Cette épouvantable et absurde Velcherie sera démontrée; et si cet écrit simple, modeste et vrai, est approuvé de votre majesté, il tiendra lieu de tout ce que nous pourrions demander.

J'attends vos ordres sur cet objet, comme la plus grande faveur qui puisse consoler ma vieillesse et me faire attendre gaiement la mort.

Agréez, sire, mon respect, mon admiration, mon dévouement, mon regret de finir ma carrière hors de vos états.