[?25 February 1751]
Sire,
Je conjure votre majesté de substituer la compassion aux sentiments de bonté qui m'ont enchanté, et qui m'ont déterminé à passer à vos pieds le reste de ma vie.
Quoy que j'aye gagné ce procez je fais encor offrir à ce juif de reprendre pour deux mille écus les diamants qu'il m'a vendus trois mille, afin de pouvoir me retirer dans la maison que votre majesté permet que j'habite auprès de Potsdam. L'état où je suis ne me permet guères de me montrer, et j'ay besoin de faire des remèdes à la campagne pendant plus d'un mois. Permettez moy de m'y aller établir la première semaine de mars, et de rester jusqu'au cinq ou au six mars dans votre châtau. C'est un homme assurément très malade qui vous demande cette grâce. Songez aussi que c'est un homme qui n'a eu en renonçant à sa patrie que votre seule personne pour objet et dont l'attachement ne peut être douteux. Puisque vous avez la bonté de me dire les choses qui vous ont déplu, cette bonté même m'assure que je ne vous déplairai plus. Il est bien sûr que je ne me suis pas donné à vous pour ne pas chercher à vous rendre ma conduitte agréable et que quand on est conduit par le cœur les devoirs sont bien doux.
Permettez moy de dire à votre majesté que j'avois baucoup connu Gross à Paris, qu'il m'étoit venu voir à Berlin, et que j'allay le prier de me faire venir un balot de livres et de cartes de géografie que mr de Kazomousky me devoit envoyer. Je ne savois pas un mot de son rapel. Ce fut luy qui me l'aprit, et quand il m'en dit la raison je me mis à rire. Je luy dis en vérité ce qui convenoit en pareille occasion à un homme qui aprenoit cette avanture de sa bouche. C'est l'unique fois que je luy aye parlé et l'unique ministre que j'aye vu, et je peux assurer votre majesté que je n'en verrai aucun en particulier.
Pardonez moy si je vous ay présenté des lettres de madame de Bentink. Je ne vous en présenteray plus.
A L'égard de la société j'ose dire sire que je ne crois pas y avoir mis la moindre aparence d'aigreur ny de trouble. S'il y avoit même quelqu'un dont je pusse avoir à me plaindre, je jure à votre majesté que tout seroit oublié dans un instant, et que le bonheur d'être dans vos bonnes grâces me rendroit agréables, ceux mêmes qui étant mal instruits de l'affaire du juif auroient trop pris party contre moy. Je ne crois pas qu'il puisse être revenu à votre majesté que j'aye jamais dit un seul mot qui ait pu déplaire à personne. Daignez être très sûr que jamais je ne mettray même la moindre froideur dans le commerce avec aucun de ceux qui vous aprochent, et sur cela je n'auray pas à me vaincre.
Pour le juif daignez sire vous informer des juges s'il y a un homme plus inique et de plus mauvaise foy sur la terre. Il refuse tout condamné qu'il est, les mille écus que je lui offre de gagner. Mais cela ne m'empêchera pas de profiter de la grâce que votre majesté daigne me faire, et d'habiter la maison près de Potsdam dont votre majesté est encor supliée de me laisser la jouissance jusqu'au printemps. Je sacrifieray tout pour venir goûter ce repos auprès du séjour que vous rendez si célèbre par tout ce que vous y faites. Daignez me laisser espérer que je verrai vos dernières productions. Il n'y a point pour moy de consolation plus chère. Vous ne pouvez pas assurément douter sire que je ne sois tendrement attaché à votre personne, et j'ose dire que je le suis à un point, que j'espère que votre majesté me pardonnera tout.