[c. 25 January 1752]
Sire,
Je mets aux pieds de votre majesté un ouvrage que j'ay composé en partie dans votre maison, et je luy en présente les prémices longtemps avant qu'il soit publié. Votre majesté est bien persuadée que dès que ma malheureuse santé poura me le permettre je viendray à Potsdam sous son bon plaisir.
Je suis bien loin d'être dans le cas d'un de vos bons mots, qu'on vous demande la permission d'être malade. J'aspire à la seule permission de vous voir et de vous entendre. Vous savez que c'est ma seule consolation et le seul motif qui m'a fait renoncer à ma patrie, à mon roy, à mes charges, à ma famille, à des amis de quarante années; je ne me suis laissé de ressource que dans vos promesses sacrées qui me soutiennent contre la crainte de vous déplaire.
Comme on a mandé à Paris que j'étois dans votre disgrâce, j'ose vous supplier très instamment de daigner me dire si je vous ay déplu en quelque chose. Je peux faire des fautes ou par ignorance ou par trop d'empressement, mais mon cœur n'en fera jamais. Je vis dans la plus profonde retraitte, donnant à l'étude le temps que des maladies cruelles peuvent me laisser. Je n'écris qu'à ma nièce. Ma famille et mes amis ne se rassurent contre les prédictions qu'ils m'ont faittes, que par les assurances respectables que vous leur avez données. Je ne luy parle que de vos bontés, de mon admiration pour votre génie, du bonheur de vivre auprès de vous. Si je luy envoye quelques vers où mes sentiments pour vous sont exprimez, je luy recomande même de n'en jamais tirer de copie et elle est d'une fidélité exacte.
Il est bien cruel que tout ce qu'on a mandé à Paris la détourne de venir s'établir icy avec moy et d'y recueillir mes derniers soupirs. Encor une fois sire daignez m'avertir s'il y a quelque chose à reprendre dans ma conduitte. Je mettray cette bonté au rang de vos plus grandes faveurs. Je la mérite m'étant donné à vous sans réserve; le bonheur de me sentir moins indigne de vous, me fera soutenir patiemment les maux dont je suis accablé.
V.