[c. 15 November 1750]
Sire,
Je me confie comme de raison au plus honnête homme et au plus discret de votre royaume.
Je ne suis venu icy que pour luy, j'ay tout abandonné pour m'attacher uniquement à luy, il me rend heureux, je compte passer le peu de jours qui me restent à ses pieds. Je ne dois rien luy cacher.
Darnaud a semé la zizanie dans le champ du repos et de la paix. Il a fait confidence à Monseigneur le prince Henri du tour cruel qu'il vouloit me jouer à Paris, et il a abusé de la confiance dont s.a.r. l'honore, pour le tromper, et pour se ménager, à ce qu'il prétendoit, une ressource et une excuse lorsque la calomnie seroit découverte. Le respect pour votre majesté me deffend d'entrer dans les détails de la conduitte de Darnaud. Mais sire voyez ce que vous voulez que je fasse. J'ay passé pardessus les bienséances de mon âge, j'ay représenté des rôles pour la famille royale, j'ay obéi avec joye aux moindres ordres que j'ay reçus, et en cela je crois avoir fait mon devoir. Mais puis-je jouer la comédie chez monseigneur le prince Henri, avec Darnaud qui m'accable de tant d'ingratitudes et de perfidies? Cela est impossible. Mais je ne veux pas faire le moindre éclat. Je crois que je dois garder surtout un profond silence. Il me semble sire que si Darnaud qui va aujourduy à Berlin dans les carosses de Monseigrle prince Henri y restoit pour travailler, pour fréquenter l'académie, en un mot sur quelque prétexte, je serois par là délivré de l'extrême embarras où je me trouve. Son absence mettroit fin aux tracasseries sans nombre qui déshonorent le palais de la gloire, et troublent l'azile du repos le plus doux. Je m'en remets aveuglément à la prudence, à la bonté de votre majesté. Je ne parleray pas même à Darget de tout ce que j'ay l'honneur de vous écrire. Soyez très sûr sire que la conduitte de Darnaud peut faire un éclat très fâcheux dans l'Europe, par la foule des gazetiers, et des barbouilleurs de papier qui veulent deviner tout ce qui se passe chez votre majesté. Au nom de votre gloire sire prévenez tout cela, et soyez bien sûr que mon attachement pour votre personne surpasse baucoup l'embaras où je me vois. Quels petits chagrins ne sont pas noyez dans le bonheur extrême de voir et d'entendre Federic le grand!
V.