1750-06-26, de Voltaire [François Marie Arouet] à Frederick II, king of Prussia.
Ainsi dans vos galants écrits
Qui vont courant toutte la France,
Vous flattez donc L'adolescence
De ce Darnaud que je chéris,
Et luy montrez ma décadence.
Je touche à mes soixante hivers:
Mais si tant de lauriers divers
Ombragent votre jeune tête,
Grand homme, est il donc bien honnête
De dépouiller mes cheveux blancs
De quelques feuilles négligées
Que déjà L'envie et le temps
Ont de leurs détestables dents
Sur ma tête à demi rongées?
Quel Diable de Marc Antonin?
Et quelle malice est la vôtre?
Egratignez vous d'une main,
Lorsque vous protégez de L'autre?
Croyez, s'il vous plaît, que mon cœur,
En dépit de mes onze lustres
Sent encor la plus noble ardeur
Pour le premier des rois illustres.
Bientôt nos beaux jours sont passez,
L'esprit s'éteint; le temps l'accable;
Les sens languissent émoussez,
Comme des convives lassez
Qui sortent tristement de table.
Mais le cœur est inépuisable;
Et c'est vous qui le remplissez.

Je ne suis à Compiègne sire que pour demander au plus grand roy du midy la permission d'aller me mettre aux pieds du plus grand Roy du nord, et les jours que je pouray passer aux pieds de Federic le grand, seront les plus beaux de ma vie. Je pars de Compiègne après demain. Je suis exact, je compte les heures, elles seront longues de Compiegne à Sans Souci. Il y a eu cent mille sots qui ont été à Rome cette année. S'ils avoient été des hommes, ils seroient venus voir vos miracles.

V.

Sire,

J'avois envoyé ma lettre à votre chancelier de Cleves, et j'arrive aussitôt qu'elle. Je la r'ouvre pour remercier encor votre majesté. Je suis arrivé me portant très mal. En vérité je vais à votre cour comme les malades de l'antiquité alloient au temple d'Esculape.

Icy j'acquiers un double grade,
Je suis de Votre majesté
Et le sujet et le malade.
Je fais ma cour à la naiade
De ce beau lieu peu fréquenté.
De son onde je bois razade.
La nimphe pleine de bonté
A mes yeux a daigné paraître.
Elle m'a dit: ce lieu champêtre
Pouroit te donner la santé;
Mais vole auprès du Roy mon maître:
Il donne l'immortalité.

J'y vole sire. J'arriverai mort ou vif. Je pars d'icy le 5. Mon misérable état et plus encor mon carosse cassé me retiennent trois jours.

Je suplie Votre majesté d'avoir la bonté d'envoyer L'ordre pour le vor span au commandant de Lipstad, et de daigner me recommander à luy. C'est une chose affreuse pour un malade français qui n'a que des domestiques français, de courir la poste en Allemagne. Erasme s'en plaignoit il y a deux cent ans. Ayez pitié de votre malade errant.

Je recachette ma lettre, et je renouvelle à votre majesté mon profond respect et ma passion de voir encor ce grand homme.

V.