1750-06-09, de Voltaire [François Marie Arouet] à Frederick II, king of Prussia.
Votre très vieille Danaë
Va quitter son petit ménage
Pour le beau séjour étoilé
Dont elle est indigne à son âge.
L'or par Jupiter envoyé
N'est pas l'objet de son envie.
Elle aime d'un cœur dévoué
Son Jupiter et non sa pluye.
Mais c'est en vain que l'on médit
De ces gouttes très salutaires,
Au siècle de fer où l'on vit,
Les gouttes d'or sont nécessaires.
On peut du fond de son taudis,
Sans argent, l'âme timorée,
Entouré de cierges bénis,
Aller tout droit en paradis,
Mais non pas dans votre empirée.

Je ne pouray pourtant sire être dans votre ciel que vers les premiers jours de juillet. Je feray, soyez en sûr, tout ce que je pouray pour arriver à la fin de juin. Mais la vieille Danaë est trop avisée pour promettre légèrement; et quoyqu'elle ait l'âme très vive et très impatiente les années luy ont apris à modérer ses ardeurs. Je viens d'écrire à Mr de Raesfelt que je seray au plus tard dans les premiers jours de juillet dans vos états de Cleves, et je le prie de songer au forespann. Je vous fais sire la même requête. Faites de belles revues dans vos royaumes du nord, imposez à l'empire des russes, soyez l'arbitre de la paix, et revenez présider à votre parnasse. Vous êtes l'homme de tous les temps, de tous les lieux, de tous les talents. Recevez moy au rang de vos adorateurs. Je n'ay de mérite que d'être le plus ancien. Le titre de doyen de ce chapitre ne peut m'être contesté. Je prendray la liberté de dire de votre majesté ce que Lafontaine à mon âge, disoit des femmes: ‘Je ne leur fais pas grand plaisir mais elles m'en font toujours baucoup.’

Ah que mon destin sera doux
Dans votre céleste demeure!
Que Darnaud vive à vos genoux,
Et que votre Voltaire y meure!

Je me mets aux pieds de Votre majesté.

V.