à Paris 17 mars 1750
J'ay l'honneur sire d'envoyer à votre majesté les feuilles à mesure qu'elles sortent de chez l'imprimeur. Il faut bien que mon Apollon Federic ait mes prémices bonnes ou mauvaises. J'ay pris la liberté de luy écrire par la voye de cet heureux Darnaud qui verra mon Jeova prussien face à face et à qui je porte la plus grande envie.
Votre majesté aura incessamment d'autres petites offrandes malgré ma misère. Car tout malingre que je suis je sens que vous donnez de la santé à mon âme. Vos rayons pénètrent jusqu'à moy et me vivifient.
Voylà Darnaud à vos pieds! Qui sera àprésent assez heureux pour envoyer à votre majesté les livres nouvaux, et les nouvelles sottises de notre pays? On m'a dit qu'on avoit proposé un nommé Freron. Permettez moy je vous en conjure de représenter à votre majesté qu'il faut pour une telle correspondance des hommes qui ayent l'aprobation du public. Il s'en faut baucoup qu'on regarde Freron comme digne d'un tel honneur. C'est un homme qui est dans un décri et dans un mépris général, tout sortant de la prison où il a été mis pour des choses assez vilaines. Je vous avoueray encor sire qu'il est mon ennemy déclaré, et qu'il se déchaîne contre moy dans de mauvaises feuilles périodiques uniquement parce que je n'ay pas voulu avoir la bassesse de luy faire donner deux louis d'or qu'il a eu l'effronterie de demander à mes gens pour dire du bien de mes ouvrages. Je ne crois pas assurément que votre majesté puisse choisir un tel homme. Si elle daigne s'en raporter à moy, je luy en fourniray un dont elle ne sera pas mécontente. Si elle veut même je me chargeray de luy envoyer tout ce qu'elle me commandera. Ma mauvaise santé qui m'empêche très souvent d'écrire de ma main ne m'empêchera pas de dicter les nouvelles. En un mot je suis à ses ordres pour le reste de ma vie.
V.