30 janvier [1752]
Sire,
Quant à Pascal je vous supplie de lire la page 274, du second tome que j'ay eu l'honneur d'envoyer à votre majesté et vous jugerez si sa cause est bonne.
Quant à madame de Benting elle n'a point de cuisine et j'en ay une icy et une à Paris.
Quant aux procez, et aux tracasseries je n'en ay qu'avec la maladie cruelle qui me mêne au tombeau.
Je vis dans la plus profonde solitude et dans les plus grandes souffrances, et je conjure votre majesté de ne pas brizer le rozeau félé que vous avez fait venir de si loin.
Mr de Billefelt a fait restituer il y a longtemps les exemplaires que votre imprimeur avait donnez à un professeur de Francfort sur l'Oder. J'étais affligé avec raison qu'un autre en eût, avant votre majesté; voylà tout le procez et toutte la tracasserie.
Est il possible que la calomnie ait pu aller jusqu'à m'accuser d'un mauvais procédé dans cette affaire? C'est ce que je ne puis comprendre. L'ouvrage est à moy, comme l'histoire de Brandebourg à votre majesté, permettez moy l'insolence de la comparaison. Quel démêlé, quelle discussion pui-je avoir pour une chose qui m'apartient et qui est entre mes mains? Que deviendrai-je sire si une calomnie si peu vraisemblable est écoutée? La franchise qui est le caractère de la capitale de France, et le mien, mérite que vous daigniez m'instruire de ma faute si j'en ay fait une; et si je n'en ay pas commise, je demande justice à votre cœur.
Vous savez qu'un mot de votre bouche est un coup mortel. Tout le monde dit chez la reine mère que je suis dans votre disgrâce. Un tel état décourage et flétrit l'âme, et la crainte de déplaire ôte tous les moyens de plaire. Daignez me rassurer contre la défiance de moy même, et ayez du moins pitié d'un homme que vous avez promis de rendre heureux.
Vous avez dans le cœur des sentiments d'humanité que vous mettez dans vos beaux ouvrages; je réclame cette bonté afin que je puisse paraitre, devant votre majesté avec confiance dès que mes maux le permettront. Soyez sûr, que soit que je meure ou que je vive vous serez convaincu que je n'étois pas indigne de vous, et qu'en me donnant à votre majesté je n'avais cherché que votre personne.
V.