1774-08-09, de Voltaire [François Marie Arouet] à Catherine II, czarina of Russia.

Madame,

Je suis positivement en disgrâce à votre cour.
Votre majesté impériale m'a planté là pour Diderot ou pour Grim ou pour quelque autre favori. Vous n'avez eu aucun égard pour ma vieillesse. Passe encor si votre majesté était une coquette française, mais comment une impératrice victorieuse et législatrice peut elle être si volage?

Je me suis brouillé pour vous avec tous les Turcs, et même encor avec M. le marquis Pugatshew, et votre oubli est la récompense que j'en reçois! Voilà qui est fait, je n'aimerai plus d'impératrice de ma vie.

Je songe cependant que j'aurais bien pu mériter ma disgrâce. Je suis un petit vieillard indiscret qui me suis laisser toucher par les prières d'un de vos sujets nommé Rose, Livonien de nation, marchand de profession, déiste de relligion, qui est venu aprendre la langue française à Ferney. Peutêtre n'a t'il pas mérité vos bontés que j'osais réclamer pour lui.

Je m'accuse encor de vous avoir ennuiée par le moyen d'un Français dont j'ay oublié le nom, qui se vantait de courir à Petersbourg pour être utile à votre majesté et qui sans doute a été fort inutile.

Enfin je me cherche des crimes pour justifier votre indiférence. Je voi bien qu'il n'y a point de passion qui ne finisse. Cette idée me ferait mourir de dépit si je n'étais tout prest de mourir de vieillesse.

Que votre majesté madame daigne donc recevoir cette lettre comme ma dernière volonté, comme mon testament, signé votre admirateur, votre délaissé, votre vieux Russe de Ferney

V.