1751-02-26, de Voltaire [François Marie Arouet] à Claude Étienne Darget.

Mon cher ami, j'ai tout terminé dans la crainte que la prisée des diamants et un appel ridicule que le juif voulait faire, ne me retînt encore quinze jours, et ne m'empêchât d'aller dans cette retraite du Marquisat, après laquelle je soupire.
Il ne tenait qu'à moi de pousser à bout ce scélérat d'Hirshel; mais j'ai mieux aimé en user trop généreusement après l'avoir fait condamner, que de le punir par la bourse, comme je le pouvais. Enfin ce chien de procès est absolument fini; je n'attends que la permission du roi, de venir m'établir pour quelque temps dans la solitude; j'ose espérer qu'il me sera permis de venir travailler dans la bibliothèque de Sans-Souci, et que le philosophe qui a bâti ce palais n'oubliera pas tout à fait un homme qui lui a consacré sa vie. Peutêtre que ce voisinage me rendra ma santé; mais si je suis condamné à toujours souffrir, je souffrirai à Potsdam moins qu'ailleurs; et si l'Apollon de ces climats veut encore me faire lire ce qui a fait jusqu'ici mon bonheur, j'oublierai tous mes maux. Il est comme les anciens magiciens, qui guérissaient tout avec des paroles enchantées.

J'attends encore une fois la permission que je demande, sans quoi j'aurais fait un bien mauvais marché. Demandez la lui donc pour moi, mon cher ami, et nous arriverons, mes petits meubles et moi, pour venir vivre en ermite. Je vous embrasse.