à Berlin, ce 8 mars [1751]
Mon cher ami, je vais vous écrire en gros caractères, à cause de vos yeux.
Il ne faut pas offenser la prunelle de son ami. Je vous avertis que pour cette maladie, il ne faut que du régime, très peu de vin, et se bassiner les yeux les matins avec de l'eau tiède. Je voudrais être déjà à Potsdam. Mes meubles ne pourront partir qu'après demain. Je suis en marché de deux chevaux; c'est tout ce qu'il me faudra pour aller à la bibliothèque de Sans-Souci et pour vous venir voir. J'en trouve ici à cent écus la paire; mais je ne m'y connais pas. Si notre actif ami, l'aimable petit Vigne, veut m'en faire avoir à Potsdam, le petit enfant, plus intelligent que moi, n'a qu'à les retenir sur le champ, et commander harnais de campagne, mors et bride; et à peine serai je dans mon marquisat, que j'aurai ma cavalerie. Je suis comme une araignée qui fait sa toile dans un coin, et qui s'établit jusqu'à ce qu'un coup de balai la fasse déloger. Je bâtis un corps de logis à Cirey et je l'abandonne tout meublé; je monte une bonne maison à Paris, et je la quitte au bout de deux mois; je m'établis au marquisat, et je vais en Italie au mois de mai. Mais, mon cher ami, je pourrais bien être enterré au marquisat. Mon affaire avec la nature va mal. J'ai pris mon parti sur tout, et je jette mon bonnet par dessus les moulins, afin de n'avoir plus la tête si près du bonnet. Bonsoir! je me fais un plaisir extrême de vous revoir, de vous embrasser. Songez à vos yeux. Mille compliments à m. Fédersdorf, au docteur joyeux, a tutti quanti.