1759-12-05, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mon cher ange que dites vous de Luc qui me mande le 17 je vous écriray plus au long de Dresde dans trois jours, et le troisième jour vous savez ce qui luy arrive.
Vous voyez qu'il ne faut compter sur rien pas même sur nos flottes, pas même sur les tragédies de Mr de Tibouville. Voyez ce qui arrive à frère Bertier, il va à Versailles dans toutte sa gloire et meurt en bâillant. On n'est sûr de rien dans ce monde. J'en excepte Tancrede. Vous devez être sûr, mon divin ange, que je la mettray à vos pieds; et si elle a le sort du Tibouville ce ne sera pas sans y avoir bien songé. Je me flatte que Spartacus va se montrer. Seriez vous assez ange pour faire dire au faiseur de Spartacus que mes chevaliers n'osent se battre contre ses gladiateurs, et que mon estime et mon amitié luy ont cédé volontiers le pas?

Je vois que la prose du traducteur de Pope ne luy a point du tout réussi. Pouriez vous avoir la bonté de me dire si ses successeurs écrivent plus rondement et ont le stile moins dur? Que pense t'on des billets ou actions des fermes? Il est bien bas de vous parler de cette prose ou plustôt de ces chifres aulieu de vous envoyer des tirades d'Amenaide en vers croizez. Mais on n'est pas toujours sur Pegaze, on est balotté dans le même vaissau où vous criez tous miséricorde.

Vous croyez bien que je n'ay pas oublié avec m. le duc de Choiseuil l'anecdote du 17 novembre. Oh je crois qu'il doit être content et lassé de moy. Mettez moy mon divin ange sous ses ailes et sous les vôtres et sous celles de madame Scaliger.

V.

Et jamais à Geneve s'il vous plaît, mais par Geneve. Voulez vous qu'on me prenne pr un huguenot réfugié?