[October/November 1760]
Mémoire présenté très humblement
à Madame Scaliger
1º Au second acte, dans la scène d'Amenaïde et d'Orbassan, il n'y a point, Que prétendez vous faire? Il y a, J'ai prononcé, voiez ce que vous voulez faire? j'aime mieux, Ce que vous devez faire?
Ce n'est pas là une de ces fins de tirades qui fassent joindre les mains du parterre les unes contre les autres; mais elle attire l'attention, elle sert au dialogue, elle fournit une bonne réponse.
2º Madame Scaliger demande quand on a cessé de retrancher L'S à la seconde personne du singulier; je réponds que Voiture est le dernier qui l'ait retranchée.
Le Cardinal de la ValetteS'il voiait l'éclat sans égalDans lequel maintenant vous ête.
Peut être vaudrait-il mieux laisser là cette discussion, et donner une S, à la rime même, plutôt que de la retrancher à la rime aime. J'aime assez qu'on imite, avec discrêtion, les Anglais et les Italiens qui retranchent volontiers les Lettres qui les incommodent; ce sera un jour le sujet d'une dissertation présentée à madame Scaliger.
3º Je ne sçais si à la première scène du 4e acte, on a retranché ce vers dans mon manuscrit,
Allez, je fais assez en lui donnant ma vie.
ou si on lui a substitué celui cy,
Qu'elle en soit digne ou non, je lui donne ma vie.
4º Au même Acte, scène 2de, quand Tancrède dit à Aldamon
Voilà ce qu'elle écrit aux tentes d'Arabie!
Il vaut mieux mettre
Mon malheur est certain.ALDAMON
Que ce grand cœur l'oublie,Qu'il dédaigne une ingratte à ce point avilie.
5º Scène 5e du même acte; ôtons ce vers,
Craint'il de s'éxpliquer? vous a't-il condamnée?
Et mettons
L'un et l'autre est horrible à mon âme étonnée.
6º Dans cette même scène, retranchons tout le couplet qui commence par
Madame, il ne faut point que je vous dissimule.
Et mettons
FANIE
Il le veut ignorer, la voix publique entraîne.Même en s'en défiant on lui résiste à peine:Cet Esclave, sa mort, ce billet malheureuxLe nom de Solamir, l'éclat de sa vaillance,L'offre de son hymen, l'audace de ses feux,Tout parlait contre vous, jusqu'à vôtre silence,Ce silence si fier, si grand, si généreuxQui dérobait Tancrède à l'injuste vangeanceDe vos communs Tyrans armés contre vous deux.Quels yeux pouvaient percer ce voile ténébreux?Le préjugé l'emporte, et l'on croit l'aparence.AMENAIDE
Lui me croire coupable!FANIE
Ah s'il peut s'abuserExcusez un amant.AMENAIDE
Rien ne peut l'éxcuser.etcaJe suplie instamment madame Scaliger de considérer que le couplet qu'on avait mis à la place, et qui finissait par ces vers,
Vous périssiez pour lui, mais hélas! il l'ignoreOu plutôt égaré par la commune erreurIl vous fuit, vous outrage, ensemble et vous adôreJe vû ces mouvements confondus dans son cœur.Que ce couplet, dis-je, n'est qu'une répétition d'un couplet précédent,
Il est vrai que son front respirait la colère,Sa voix entrecoupée afectait des froideurs,Il détournait les yeux, mais il cachait ses pleurs.
De plus il ne faut pas qu'on dise à Amenaide qu'on l'adore, de peur d'affaiblir la force de ses plaintes.
7º Acte 5, dernière scène
AMENAIDE
Vous en êtes la cause — ah! devant qu'il expire . . . ..(elle veut marcher, elle aperçoit Lorédan avec les autres chevaliers, et recule d'horreur)Que voi-je? mes tirans! . . . .LOREDAN
O malheureux Argire!O fille infortunée! on conduit devant vousCe brave chevalier percé de nôbles coupsetca
Je demande en grâce qu'on laisse le reste du couplet comme il est. Le remords odieux, vaut bien, ce repentir si vain: tout doit être odieux à Aménaïde de la part de ces gens là.
8º Mlle Clairon m'avait mandé que Vous n'êtes point mon père, était attroce. Mais, Je meurs en vous aimant, est doux.
9º A l'égard de l'échafaut, oui j'aimerais bien un autel et un poignard dessus, surtout sur cet autel et ce poignard servaient au nœud de la pièce, mais j'avoue qu'une potence, ou un échafaut qui ne sont pas nécessaires ne sont point du tout de mon goust.