dans un cabaret hollandais sur le chemin de Bruxelles ce 4 novembre [1743]
Mon cher et respectable amy voylà horriblement du bruit pour une omelette.
On ne peut être ny moins coupable ny plus vexé. Je n'ay pas manqué une poste. Ce n'est pas ma faute si elles sont très infidèles dans les chemins de traverse de L'Allemagne, et puisqu'on envoya en Touraine une de vos lettres adressée en Hollande, on peut avoir fait de plus grandes méprises dans la Franconie et dans la Vestphalie. J'ay été un mois entier sans recevoir des nouvelles de votre amie, mais j'ay été affligé sans colère, sans croire être trahi, sans mettre toutte l'Allemagne en mouvement. Je vous avoue que je suis très fâché des démarches qu'on a faittes. Elles ont fait plus de tort que vous ne pensez, mais il n'y a point de fautes qui ne soient bien chères quand le cœur les fait commettre. J'ay les mêmes raisons pour pardonner, qu'on a eues de se mal conduire. Vous auriez grand tort mon cher ange de m'avoir condamné sans m'entendre. Et quel besoin même aviez vous de ma justification? Votre cœur ne devoit il pas deviner le mien? et n'esce pas au maître à répondre du disciple? Je me flatte que vous me reverrez bientôt à l'ombre de vos ailes, que vous me rendrez plus de justice, et que vous aprendrez à votre amie à ne point obscurcir par des orages un ciel aussi serain que le nôtre. Mille tendres respects à tous les anges.
V.
ce 6 novembre
J'arrive à Bruxelles où je jouis du bonheur de voir votre amie, en bien meilleure santé que moy, je me croiray parfaittement heureux quand l'un et l'autre nous aurons la consolation de vous embrasser.
Je sens ma joye toutte troublée par la maladie de madame Dargental. J'ai reçu icy une ancienne lettre de M. le commandeur de Solare. Je vais luy répondre. Je me flatte que l'un de mes deux anges l'assurera bien qu'il n'est pas fait pour être oublié. Tous ces ministres de Sardaigne sont aimables. J'en ay vu dont je suis presque aussi content que de M. de Solare. Adieu couple charmant, adieu divinitez de la société et de mon cœur.
V.