1774-11-28, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis François Armand Du Plessis, duc de Richelieu.

Je vous remercie bien sensiblement, Monseigneur, de m'avoir éclairé par vôtre Lettre du 18, sur cette affaire qui m'intéresse autant que vous même.

Je vois qu'en effet il y a eu un sous secrétaire qui pourait bien être un fripon. Le Marquis de Vence dit partout que sa fille n'en sait pas assez pour contrefaire si bien la main d'un autre, et il est fort vraisemblable qu'elle a été aidée dans son crime, très mal conduit, et très mal éxécuté. Ce que je ne saurais pardonner à Mr Le Marquis De Vence, c'est d'avoir profané le nom d'Alcibiade que je vous avais très justement donné il y a longtemps, quoi qu'Alcibiade n'ait jamais rendu à la Grèce autant de services que vous en avez rendus à la France.

L'idée que vous me semblez avoir de laisser paraître un mémoire qui ne sera qu'un simple relevé du greffe du Châtelet, et qui ne vous compromettra point, me parait très bonne, et très digne de vôtre gloire. Ce ne sera point un manifeste, ce sera un exposé du vol et des démarches de la justice. Ce ne sera point un maréchal de France plaidant contre une catin. Je vous serai infiniment obligé de vouloir me faire parvenir deux ou trois éxemplaires de ce mémoire, contresignés, car la poste devient horriblement chère, et moi horriblement pauvre, grâce aux attentions que Mr l'abbé Terray a eues pour moi dans son ministère. Si vous aimez mieux faire mettre le paquet dans une petite boëte, à mon adresse à la diligence de Lyon, celà ne retarde la réception que de deux ou trois jours.

Ce mémoire, qui ne sera point un plaidoier de mon héros contre des brigands, est absolument nécessaire pour imposer silence à des ennemis qui sont accrédités dans Paris, et pour instruire les provinces et les païs étrangers. Il est bien cruel qu'on veuille obscurcir une affaire aussi claire. Je me flatte que tout sera mis au grand jour dans peu de temps.

Vous me faittes une plaisante querelle sur les folies de ma vieillesse, que vous me reprochez de ne vous pas envoier. Après les loix de Minos que je vous ai dédiées, et que vous n'avez pas voulu faire représenter, quoi qu'elles eussent été répétées, je ne m'attendais pas à ce reproche. J'aurais bien dans quelque temps la lie de mon vin à vous présenter, mais il faut aupa[ra]vant que vos brigands aient avalé toute la coupe amère de leur turpitude, et que cette affaire terminée comme elle doit l'être, vous laisse le temps de vous amuser. Rien ne doit troubler la douceur de vôtre vie, comme rien n'en doit obscurcir l'éclat. J'aurais voulu seulement que vous eussiez été le père de nôtre académie, ainsi que je vous l'avais proposé dans la dédicace des loix de Minos.

Ma vie est bien triste dans le moment présent, mais vous savez si je vous serai attaché jusqu'à mon dernier jour.

le vieux malade V.