à la Haye au palais du roy de Prusse 5 juillet 1743
Eh bien mes adorables anges ce petit hémisphère est plus fou et plus malheureux que jamais, et moy ne sui-je pas un des plus infortunez de la bande?
Les uns vont mourir de faim ou par l'épée des ennemis vers le Danube, les autres sur le Mein, et moy où vai-je? et où sui-je? J'ay bien peur de mourir de chagrin loin de vous. Est on devenu assez déterminément ostrogot pour ne pas jouer Jules Cesar? Si on avoit dit, il y a quelques années qu'on parviendroit à cet excez d'impertinence, on ne l'auroit pas cru. Je ne vous déplairay pas en vous disant qu'il y a icy une comédie assez passable, Prin et Fierville en sont les principaux acteurs. Il y a une Bercaville qui vaut mieux sans comparaison que toutes les soubrettes qu'on a essayées et qui est plus effrontée elle seule que toutes les autres ensemble. Les Anglais sont encore plus effrontez pourtant, et prennent un terrible ascendant sur ce téâtre cy. Ils jouent le rôle de tiran fort noblement, et les Hollandais celuy d'assistans derrière leurs maitres. Peut on se réjouir à Paris dans ce malheur général? Hélas, il le faut bien, et on tueroit cent mille hommes en Allemagne que l'opéra seroit plein les vendredis. Mais pourquoy la comédie ne le sera t'elle pas?
Le roy de Prusse est réellement indigné des persécutions que j'essuie, il veut absolument m'établir à Berlin. J'ay sacrifié sa lettre à madame du Chastellet et à mes anges. Tout ce que je vous dis là je le dis à M. de Pondeveile baisant toujours vos ailes avec un pur amour.
V.
Mes respects à M. l'ambassadeur de Sardaigne.