à Potsdam 25 septembre [1752]
Je vois madame que vous avez eu baucoup de plaisir et baucoup d'esprit à Orangebourg et ce qui rend la chose parfaitte c'est que vous en avez donné.
Vous faittes les agréments de ce pays cy et vous les goûtez. Jouissez de cette vie agréable. Elle vaut bien le séjour de Kniphauzen et des procez. Pour moy qui suis voué à la retraitte je ne suis plus heureux que par votre bonheur. Mes maladies m'ont mis hors d'état de le partager. Un roy philosophe fait toutte ma consolation. Je ne vous aurais point gagné votre argent au pharaon mais je vous aurais vu avec grand plaisir jouer le rôle de Lise et parler d'un mauvais mariage. Il y a de certaines comtesses et de certains comtes dans le monde et il y a des philosophes sur les quels il faut compter.
Je conviens que les lettres provinciales sont mieux écrites que l'appel au public de Kœnig. Il y a cependant des endroits bien touchez. L'ouvrage est convainquant, c'est tout ce qu'il faut. Il démontre les torts de Maupertuis en géométrie et en procédez et il le couvre de confusion. Maupertuis a augmenté icy son amour propre et a perdu son talent. Le receuil de ses ouvrages qu'il a fait imprimer depuis peu à Leipzik est un chef d'œuvre de ridicule, et reconu pour tel à Paris. Quand il serait un Neuton il ne luy serait pas permis d'être impertinent dans une académie, et d'y agir en tiran. Mais il n'est que Maupertuis, et c'est un pauvre rôle à jouer que celuy d'un tiran ridicule. Les marchands sont donc bien fiers! Je n'aime pas qu'on le soit avec les gens de lettres, encor moins avec les dames. Ce n'est pas le tout de faire de petites brochures. Il faut encor être poli. Adieu madame, mille tendres respects. Brûlez ma lettre s'il vous plait. Voulez bien me permettre de joindre icy l'incluse pour votre voisin?
V.
Vous ne me parlez plus de votre politique algébriste, je voi que votre goust n'a été qu'une passade.