à Potsdam ce 29 septbre [1752]
Il y a madame plus de trois mois que je sçai de qui est la politique algébriste et raisonée, je le dis au Roy et je crus rendre service à L'autheur.
Il peut se trouver des occasions où je luy serais de quelque utilité. J'ay oublié le nom de son père qu'il paraît que vous ne savez pas. Si je le savais il ne serait pas impossible de le servir auprès du roy de Pologne Stanislas. Chaque chose vient en son temps, ne vous excusez point de vous être réjouie à Orangebourg. Qu'a t'on de mieux à faire? A chaque jour suffit sa peine: mais aussi à chaque jour suffit son plaisir. Il ne s'agit dans ce monde que de passer doucement ses vingt quatre heures sans orages. La plus intrépide filosofie ne peut procurer rien de mieux. Vous avez du repos et de l'aisance, vous êtes indépendante, vous avez de la santé, et par dessus tout cela vous plaisez. Songez combien il y a de gens qui n'ont rien de ce que vous possédez. Un petit coup d'œil sur le genre humain doit vous faire envisager votre sort avec des yeux satisfaits. Il y a huit mois que je ne suis presque pas sorty du châtau de Potsdam. Cette vie serait insuportable pour un petit maitre qui aimerait à courir, à se montrer, à jouer, à se faire valoir auprès des dames; elle est délicieuse pour un vieux philosophe malade. Soyez bien sûre madame que vous êtes l'unique personne que je regrette. Trois choses me manquent, la santé, le bonheur de vous voir, et celuy de vous savoir heureuse. Comptez à jamais sur l'attachement le plus respectueux, le plus tendre et le plus inviolable.
V.
J'ajoute à ma lettre une requête. Vous venez à bout, du moins à Berlin, de tout ce que vous voulez. Vous aurez sans doute madame le crédit de me faire avoir par quelqu'un de vos amis, Le dictionaire de la bible de Don Calmet, avec tous les tomes de ses commentaires, et sur tout ses prolégomènes. J'en aurai grand soin, et je vous aurai une vraie obligation. Ce vaste receuil de sottises sacrées est plein de choses curieuses.
Esce que Maupertuis est effectivement en danger? Son livre est mort, mais ayez la bonté de me mander des nouvelles positives de sa personne.
Je vous jure que si Le Roy m'offrait sa place, je le prierais de m'excuser. Ma santé ne me permet guères de sortir de ma chambre. Le fardau d'une académie serait trop pesant pour moy. Je vous suplie même d'instruire de mes sentiments ceux qui pensent que je prétends à cette place. Elle convient baucoup mieux à monsieur Algaroti, qui est honoré du titre de comte, qui vit en seigneur et qui se porte bien, qu'à moy malade obscur, qui vis, et qui veux vivre obscurément. Adieu madame, mille tendres et profonds respects.
V.