à Ferney 3 octb [1764]
Je n'ay jamais senti madame plus cruellement les désagréments que la maladie entraine avec elle, qu'en étant privé de l'honneur de vous faire ma cour.
Madame du Deffand me charge de luy envoier par vous madame un livre intitulé dictionaire philosophique. Je ne puis obéir à son ordre. J'ai fait chercher vainement ce livre dans Geneve. Je n'en ay pu déterrer qu'un seul exemplaire au quel même il manquait une feuille. J'ay appris avec étonnement qu'on m'attribuait cet ouvrage. Ce serait encor une raison de plus pour ne m'en pas charger. Madame du Deffand ne fait pas là une grande perte. Le peu que mes yeux très malades et très faibles m'a permis d'en lire, m'a paru un receuil assez mal digéré de ce qu'on trouve dans vingt auteurs. Il est d'ailleurs horriblement mal imprimé et rempli de fautes absurdes. Il y aurait bien de la malignité à m'imputer cette rapsodie. J'ose donc vous supplier madame de vouloir bien m'excuser auprès de madame du Deffant. Je n'aurais point de plus grand plaisir que d'obéir à ses ordres comme aux vôtres. Permettez moy madame de présenter mes hommages à Messieurs de Jaucour, et à madame de Gourgues.
J'ai l'honneur d'être avec bien du respect
madame
votre très humble et très obéissant serviteur.
Voltaire