1775-12-08, de Voltaire [François Marie Arouet] à Paul Claude Moultou.

Effectivement, Monsieur, on m'avait flatté que vous aviez jetté un coup d'œil favorable sur mon voisinage, et que vous vouliez l'honorer au point d'y avoir une maison de campagne.
Vous jugez combien cette proposition a dû enchanter Made Denis et moi. Ce serait la consolation du reste de mes jours. Vous seriez absolument le maître de choisir le terrain; vous ordonneriez la manière dont vous voudriez être servi, et on s'empresserait d'exécuter vos ordres.

Je vous avertis que vous ne seriez point du tout dans un marquisat. C'est une mauvaise plaisanterie que des ennemis de Mr Turgot ont faitte à Paris. Il y a des gens qui ont été fâchés du bien que ce digne ministre daigne faire à ma petite province, et encor plus de celui qu'il va faire au roiaume. Ne pouvant décréditer les bonnes intentions de Mr Turgot, ils ont voulu l'attaquer par le ridicule, et dans cette belle idée ils ont débité que le roi me fesait marquis Mascarille, et intendant du vaste païs de Gex. Envérité il y a tant de marquis gascons, qu'il n'en faut pas faire de suisses.

Agréez les tendres respects d'un solitaire qui ne sera jamais que le vieux malade

V.