1767-10-30, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

Mon cher ami, je reçois votre lettre du 20 8bre, car il faut que je sois exact sur les dates; on dit qu'il y a quelquefois des lettres qui se perdent.
J'écris à m. Chardon à tout hasard pour l'affaire des Sirven, quoique je ne croie pas le moment favorable. On vient de condamner à être pendu un pauvre diable de Gascon qui avait prêché la parole de dieu dans une grange auprès de Bordeaux. Le Gascon, maître de la grange, est condamné aux galères, et la plupart des auditeurs gascons sont bannis du pays, mais quand on appesantit une main, l'autre peut devenir plus légère. On peut en même temps exécuter les lois sévères qui défendent de prêcher la parole de dieu dans des granges et venger les lois qui défendent aux juges de rouer, de pendre les pères et les mères, sans preuves.

Ne pourriez vous point m'envoyer cette honnêteté théologique dont on parle tant, et qu'on m'impute à cause du titre et parce qu'on sait que je suis très honnête avec ces messieurs de la théologie? Je ne l'ai point vue, et je meurs d'envie de la lire. On ne pourra pas empêcher qu'il y ait une Sorbonne, mais on pourra très bien empêcher que cette Sorbonne ne fasse du mal. Le ridicule et la honte dont elle vient de se couvrir, dureront longtemps. Il faut espérer que tant de voix qui s'élèvent d'un bout de l'Europe à l'autre imposeront enfin silence aux théologiens et que le monde ne sera plus bouleversé par des arguments comme il l'a été tant de fois.

Je vous envoie le petit changement que vous avez très justement demandé pour Charlot. Cette pièce a été faite en 5 jours de temps pour nous amuser et n'était pas trop digne du public; mais si par hasard on en faisait encore une édition à Paris, avertissez moi, et je vous enverrai une petite préface sur le compte de notre ami Henri 4. Je n'ai pu y travailler encore, ma santé plus languissante que jamais, ne me l'a pas permis, mais j'ai les matériaux dans ma tête.

Envoyez moi donc s'il vous plaît un exemplaire de Charlot. Je n'en ai point. Il manquait une feuille à celui que vous avez eu la bonté de me faire tenir.

Je voudrais bien que l'enchanteur Merlin m'envoyât un Horace de Dacier de la dernière édition.

Adieu, mon très cher ami; tâchez donc de venir à bout de cette enflure au cou. Pour moi je suis bien loin d'avoir des enflures; je diminue à vue d'œil et je serai bientôt réduit à rien.

Je reçois à l'instant deux exemplaires de la comtesse de Givri. Je vais donc travailler à la préface dans la supposition que la première édition n'a pas été considérable, et qu'elle peut s'écouler promptement. On me mande qu'on a déjà joué Charlot dans plus d'une maison de campagne auprès de Paris et que l'opéra comique veut s'en emparer en y ajoutant un petit divertissement; mais j'ai renoncé absolument à tout autre théâtre que le mien.

Pourquoi ne pas donner vos observations sur l'Ordre essentiel des sociétés? Mais il n'y a pas moyen de dire tout ce qu'on devrait et qu'on voudrait dire.