12 8bre 1767
Mon cher ami, je vous parlerai de Henri 4 avant de vous entretenir de melle Duranci.
Premièremt, je savais qu'on avait défendu de faire paraître Henri 4 sur le théâtre. Ne nomen ejus vilesceret, et en cas que jamais les comédiens voulussent jouer Charlot, il ne fallait pas les priver de cette petite ressource, supposé que c'en soit une dans leur décadence et dans leur misère.
En second lieu, Henri 4 étant substitué au duc de Bellegarde n'aurait pu jouer un rôle digne de lui. Il aurait été obligé d'entrer dans des détails qui ne conviennent point du tout à sa dignité. De plus tout ce que le duc de Bellegarde dit de son maître est bien plus à l'avantage de ce grand homme que si Henri 4 parlait lui même.
Enfin il est nécessaire que celui qui fait le dénouement de la pièce soit un parent de la maison, et voilà pourquoi j'ai restitué les vers qui fondent cette parenté, au 1er acte. Ils sont d'une nécessité indispensable. Je vous supplie d'exiger un carton.
Je recommande toujours à l'enchanteur Merlin de ne point mettre mon nom à cette bagatelle et de ne point demander de privilège.
Mandez moi, je vous prie, mon cher ami, quand vous croyez que m. Chardon pourra rapporter le procès de Sirven, afin que j'aie l'honneur de lui écrire.
Si Elie de Beaumont est condamné à rembourser les améliorations, la terre pourra lui coûter cher, car on dit que les acquéreurs l'avaient fort embellie, et y avaient fait de grandes dépenses. Ces liquidations d'ailleurs entraînent des frais considérables.
Je ne connais rien de nouveau dans la littérature, sinon quelques ouvrages d'une liberté extrême, imprimés en Hollande. Il y en a une douzaine depuis trois ans. La théologie portative n'est nullement théologique; ce n'est qu'une plaisanterie continuelle par ordre alphabétique; mais il faut avouer qu'il y a des traits si comiques, que plusieurs théologiens même ne pourront s'empêcher d'en rire. Les jeunes gens et les femmes lisent cette folie avec avidité. Les éditions de tous les livres dans ce goût se multiplient. Les vrais politiques disent que c'est un bonheur pour tous les états et pour tous les princes; que plus les querelles théologiques seront méprisées, plus la religion sera respectée, et que le repos public ne pouvait naître que de deux sources, l'une l'expulsion des Jésuites, et l'autre le mépris pour les écoles d'arguments. Ce mépris augmente heureusement pour la victoire de Marmontel. Le collège Mazarin pourra bien tomber dans un décri universel: tout le monde dira, point de Mazarin. Le procédé des cuistres est si infâme qu'il n'y a plus moyen de se moquer d'eux. On ne peut pas rire de coquins qui méritent le carcan; il faut les dénoncer comme des scélérats. La lettre de mon laquais à Cogé me paraît nécessaire, et il faut qu'elle lui soit rendue. Vous avez dû voir, mon cher ami par mon mémoire sur la Beaumelle que rien ne m'engagera jamais à ménager les fripons.
Soyez très persuadé que je n'ai nulle part à la retraite de melle Duranci; mr d'Argental a été très mal informé. J'ai soutenu le théâtre pendant 50 ans; ma récompense a été une foule de libelles et de tracasseries. Ah que j'ai bien fait de quitter Paris, et que je suis loin de le regretter! Votre correspondance me tient lieu de tout ce qui m'aurait pu plaire encore dans cette ville.
Adieu. Il n'y a de remède pour moi que celui de la patience.