1763-03-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à Claire Josèphe Hippolyte Léris de Latude.

M. Tronchin, mademoiselle, m'a dit que votre état demande les plus grands ménagements, et l'attention la plus scrupuleuse et que vous risquez beaucoup si vous voyagez dans le temps de vos accès.

Vous avez demandé qu'on vous louât un appartement à Geneve, dans le voisinage de m. Tronchin; non seulement il n'y en a point, mais s'il y en avait il serait d'une cherté excessive. Il y a même une famille considérable de Geneve qui ne pouvant trouver à se loger cette année, est obligée d'aller habiter un petit château que je possède à une lieue de la ville. Geneve d'ailleurs n'est pas un séjour qui vous convienne, et on n'y honorerait pas vos talents comme à Paris.

Nous sommes actuellement made Denis et moi aux Délices. C'est une maison de campagne assez agréable, mais les appartements que nous pouvons donner sont bien mal disposés. Vous choisirez celui qui vous conviendra le mieux. Ce sont plutôt des chambres que des appartements. Made Denis est malade; je le suis aussi; m. Tronchin viendra dans notre hôpital pour nous trois. Nous irons passer la belle saison dans le petit château de Ferney, où vous serez beaucoup plus commodément logée. Ferney est à deux lieues de Genève; on rendra compte tous les jours de votre état à m. Tronchin qui veillera sur votre santé.

Voilà, mademoiselle, ce que je vous propose; l'état de made Denis et le mien nous condamnent à un régime et à une retraite convenables à votre situation présente. Cependant si vous voulez apporter un habit de fête pour le temps de votre convalescence, nous mettrons aussi les nôtres pour la célébrer. Il est juste que la descendante de Corneille voie la personne du monde qui fait le plus d'honneur à son grand-père, et que j'aie la consolation dans ma vieillesse de me trouver entre vous et elle.

J'ai l'honneur d'être mademoiselle avec tous les sentiments qui vous sont dus &c.