1762-12-03, de Voltaire [François Marie Arouet] à François de Chennevières.

Mon cher ami, vous savez que je suis un mauvais correspondant, mais je n'en suis pas moins un véritable ami, et je vous aime comme si je vous écrivais tous les jours.
Dieu merci vous n'aurez plus tant d'hôpitaux militaires à diriger. On coupera moins de bras et de cuisses, on ne nous battra plus, et nos campagnes auront plus de cultivateurs. C'est à quoi je m'intéresse particulièrement parce que je suis un bon laboureur et que je serais un fort mauvais soldat. Je me fais à présent une espèce de parc d'environ une lieue de circuit et je découvre de ma terrasse plus de vingt lieues. Vous m'avouerez que vous n'en voyez pas tant de votre appartement de Versailles. Voyez donc comme j'irai à Paris au printemps prochain! Je me croirais le plus malheureux de tous les hommes si je voyais le printempts ailleurs que chez moi. Je plains ceux qui ne jouissent pas de la nature et qui vivent sans la voir. Chacun vante la retraite, peu savent y rester. Moi qui ne suis heureux et qui ne compte ma vie que du jour où je vis la campagne, j'y demeurerai probablement jusqu'à ma mort et ce sera le terme de mon amitié pour vous.