1750-06-26, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Pourquoy sui-je icy?
pourquoy vai-je plus loin? pourquoy vous ai-je quitté mes chers anges? Vous n'êtes point mes gardiens, puisque voylà livré au démon du voiage. Video meliora proboque; deteriora sequor.

Mr Le Duc Daumont vous écrit sans doute aujourduy que le Kien aura son ordre quand il voudra. Je conseille à madame Denis de luy faire réciter Herode, Titus, et Zamore, de le faire crier à tue tête dans les endroits dans les endroits de débit où sa voix est toujours jusqu'à présent faible et sourde. C'est peutêtre le seul défaut qu'il ait, mais c'est le Défaut le plus essentiel et le plus difficile à corriger. Je voudrais bien qu'il jouast un jour Ciceron. J'espère que je feray quelque chose d'Aurélie, mais je me saurai toujours bon gré de n'en avoir pas fait un personnage aussi important que le consul, Catilina et César. Elle ne peut avoir que la quatrième place. Les femmes trouveront cela bien mauvais; mais ma pièce n'est guère française; elle est Romaine. Vous me jugerez à mon retour. Condamnez si vous valez mon travail, mais pardonnez à mon voiage, et obtenez moy l'indulgence de mr de Choiseuil et de M. l'abbé de Chauvelin. Mes chers anges, ne me grondez point, il me suffit de mes remords. Si vous avez des ordres à me donner envoyez les chez moy. On les fera tenir à votre errante créature.

V.