Tandis que vous êtes à Lyon mon cher et respectable amy, avec mon autre ange gardien, le diable qui dispose de ma vie m'envoye à Bruxelles, et songez s'il vous plait qu'à Bruxelles il n'y a que des flamans, qui ne sauront pas même si dans la tragédie de Mahomet il sera question de mahometisme.
Made du Chatelet va tout armée de compulsoires, de requêtes, et de contredits perdre son argent et son temps à gagner des incidents inutiles d'un procez qui sera jugé à la quatrième ou cinquième génération. O vanas hominum mentes o pectora cæ ca. Pour moy je diray o noctes cœnæ que deum, quand je vous reverrai à Paris. Je ne prétends pas vous regretter précisément autant que fait madame Dargental, mais après elle, je crois que je peux très hardiment le disputer à tout le monde.
Je vois que mr Palu, et mr Perichon, et tous ceux qui font les honneurs de Lyon vont donner des indigestions à mes deux anges. Mr de la Marche n'est il pas avec vous? n'avez vous pas un opéra, et par dessus tout cela un cardinal? Voylà assurément de quoy passer son temps. Que dit Mr de la Marche de ses confrères de Paris qui ont instrumenté si pédantesquement contre mon profète? que dira M. le cardinal de Tensin? que dira made sa sœur de nos convulsionaires en robe longue qui ne veulent pas qu'on joue le fanatisme, comme on dit qu'un 1er président ne vouloit pas qu'on jouast Tartuffe? Puis que me voylà la victime des jansenistes je dédierai Mahomet au pape; et je compte être évêque in partibus infidelium attendu que c'est là mon véritable diocèse. Bon jour mes saints anges, je me mets toujours à l'ombre de vos ailes. Voulez vous des nouvelles? On joue jeudy une comédie nouvelle, mademoiselle Gossin a été saignée hier, mr le cardinal de Fleury a eu une petite faiblesse, on répète Hippolite et Aricie.
Apropos vous avez mon Mahomet, madame de Tensin le lira, mr le cardinal le lira, qu'en auront ils dit? et mr Palu? On ne peut pas se dispenser de luy en acorder une lecture. C'est un grand paresseux que ce mr Palu, il doit être actuellement bien cochon.
Je vous prie de présenter mes respects à made votre tante, et si je n'étois pas aussi profane, aussi irrévocablement damné que j'ay l'honneur de l'être je demanderois la bénédiction de son Eminence.
à Paris 22 août [1742] en partant