1734-05-25, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Frédéric Phélypeaux, comte de Maurepas.

Monseigneur,

Monsieur de Maurepas a lu ces lettres philosophiques, et s'y est assez réjoui.
Mr de Phelippaux, secrétaire d'état, a expédié une abominable lettre de cachet contre l'auteur des lettres. Je suplie instament l'esprit et l'imagination de monsieur de Maurepas de me protéger contre la main de M. de Phelippaux. Voicy le fait tel qu'il est, Monseigneur, avec la plus exacte vérité.

Il est certain (et je ne crois pas qu'on en doute àprésent) que je n'ay aucune part telle qu'elle puisse être, à l'édition qui a inondé le public, qu'elle est pleine de traits qu'on a ajoutez à l'original, que je la désavoue, que je fais informer juridiquement contre le libraire, que je suis très malade de tout cecy, et que la fièvre, la dissenterie et une lettre de cachet sont très capables de m'envoyer disputer contre Pascal dans l'autre monde, pour me punir de l'avoir trop ménagé dans celuy cy, et de n'avoir pas relevé cent erreurs dont ces Pensées si prônées fourmillent.

J'ay fait humainement ce que j'ay pu pour prévenir le débit de ce scandaleux ouvrage. J'avois reçu il y a plus de six mois une belle lettre de mr le cardinal, par la quelle il me faisoit l'honeur de m'assurer que rien ne seroit fait contre moy sans m'avoir entendu. O le bau billet qu'a là la Chatre!

Tout ce que je demanderois à présent c'est du moins qu'on ne me cherchast pas comme Cartouche, et que je pusse au moins revenir en France dans quelque désert sans crainte de la sainte hermandad. Si on veut brûler mon livre et ne pas toucher à ma personne j'accepte le marché.

Monseigneur les puritains, les quaquers, les ariens, les jansenistes, les molinistes sont de grands fous, et moy bien plus fou qu'eux d'en avoir parlé. Mais voulez vous que je vous dise le vray? J'étois à Londres quand j'écrivis ces bagatelles il y a six ans, je ne pensois pas plus à la France qu'au Monomotapa. Me voicy àprésent avec la rage d'être en France. Je vous importune Monseigneur de mon verbiage. Je finis par vous demander votre protection avec instance.

J'ay l'honneur d'être avec le profond respect ordinaire, et un véritable attachement

Monseigneur

Votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire